Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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Interview d'Andrés Marin réalisée par Isabelle Jacq 'Gamboena', en janvier 2010,  pour Musique Alhambra

 

 

- Andrés Marin, tu es le fils du bailaor Andrés Marin et de la cantaora Isabel Vargas. Qu'aimerais-tu nous dire à leur sujet?

- En plus de m'avoir donné la vie, ce qui est leur rôle essentiel, ils m'ont introduit dans le monde du flamenco. Ce sont des artistes qui ont travaillé longtemps avec des grandes figures du Flamenco comme Marchena, par exemple. Par eux, j'ai été familiarisé avec cet art et mon père m'a introduit dans le monde du baile et j'ai suivi ses pas.

- Il t'a formé à la danse?

- Oui, il m'a formé au début. Il a été mon seul et unique professeur car, après, je me suis formé tout seul.

- Que gardes-tu de Séville, ta ville natale?

- Séville est la ville dans laquelle j'ai grandi et dans laquelle je réside encore. En effet, je continue à vivre dans le quartier où je suis né. J'aime cet environnement, je m'y sens bien.

- Quand as-tu décidé de démarrer une carrière de danseur?

- J'ai commencé à danser à l'âge de 7 ans;  à cet âge là, je voulais déjà être bailaor. J'ai interrompu ce projet pendant un temps, puis j'y suis revenu. Ma carrière de bailaor démarra réellement en 1995.

- Comment décrirais-tu ton style de baile?

- Ce qui caractérise mon  baile c'est son aspect expérimental; c'est une danse sans peur et avec une grande liberté d'expression.

- Es-tu ainsi dans la vie?

- Oui, je danse ce que je suis tout comme le peintre peint ce qu'il est.

- Te ressens-tu comme un des représentants du nouveau Flamenco?

- Je suis un représentant d'un baile sans censure. Le baile a traversé des périodes diverses et durant ces périodes il y a toujours eu des artistes qui ont révolutionné cet art. les gens du Flamenco ont une connaissance très superficielle du Flamenco...je te le garantis. Lorsque les Flamencos parlent de cet art, c'est souvent d'une manière stéréotypée. Ils n'ont pas de réelles connaissances et ne savent pas ce qu'est le flamenco libre ou ce qu'est le Flamenco en évolution. Chacun campe sur ses positions en déclarant 'C'est ça Le Flamenco'. En fait, le Flamenco est un art personnel. Un art individuel est un art personnel. Chacun danse à sa manière, c'est pour cela que danser sans faire partie d' une compagnie, cela fonctionne très bien aussi. J'ai eu une compagnie, mais je revendique un Flamenco libre car, quand on danse dans une compagnie, cela modifie les choses.

- Que gardes-tu de la tradition dans ton baile?

- Tout, car il ne peut y avoir d'avant garde si elle n'est pas sous-tendue par la tradition, de même qu' on ne peut construire une maison sans installer les fondations. Les fondations, c'est la connaissance et la maitrise du baile.

- Quelles sont les connaissances fondamentales à acquérir, d'après toi?

- Il est nécessaire d'écouter le cante, de connaitre les styles de cante et de remarquer que chaque chanteur a sa manière de chanter. Tout le monde ne cherche pas à acquérir cette connaissance. les danseurs montent une chorégraphie mais ils dansent de la même manière avec tous les cantaores.

- Travailles-tu toujours avec les mêmes chanteurs ?

- Non, je change à chaque fois. Cette fois-ci, c'est Segundo Falcon qui vient en artiste invité. C'est un très bon chanteur et c'est un honneur pour moi qu'il soit là.

- Ton projet de travailler avec Llorenç, comment s'est-il réalisé?

- Lors de l'élaboration de ce spectacle, j'avais envie de travailler avec le son des cloches car cela éveille des images en moi, tout autant que la Solea. Danser au son des cloches, cela ne s'était encore jamais fait dans l'histoire du Flamenco et pourtant les letras sont remplies d'allusions aux cloches. Comme je cherchais à travailler avec un campanologue, un ami m'a parlé de Llorenç puis son neveu me l'a présenté. Nous avons commencé à travailler ensemble et cela me plaisait beaucoup car, dans sa musique, il y a tout: le jondo, le noir, le doux... Llorenç fait de la musique expérimentale, minimaliste. C'est un grand campanologue et un musicien de polyphonie. C'est la perle rare.

- Les cloches, qu'évoquent-elles dans ce spectacle?

- Dans mon spectacle, elles représentent des mémoires de ma vie et de mon environnement. Plus largement, la cloche annonce des évènements: la mort, un mariage. elle est aussi utilisée pour la guerre. La cloche est un instrument de communication, tout comme le Flamenco. Souvent, les gens considèrent cet art plus comme un divertissement, une distraction que comme un moyen de communication.

- Au fond, que cherches-tu à communiquer au public?

- Je communique ce que je ressens, je danse en m'exprimant librement. Je ne prétends pas délivrer un message particulier. Je danse pour moi avant tout et cela en a toujours été ainsi.

- Comment as-tu élaboré ce spectacle?

- Nous avons travaillé en studio avec Llorenç et les musiciens.  Nous avons choisi la musique. Puis, j'ai écouté la musique de Llorenç et j'ai travaillé avec lui.

- Llorenç joue-t-il a compás dans le spectacle?

- Non, Llorenz joue librement. Il utilise d'autres formes de rythmes que les nôtres. Nous, nous interprétons des palos: Seguiriya, bambera, cantiña, etc.

- Que racontes-tu dans 'El cielo de tu boca'?

- Ce n'est pas un spectacle narratif. C'est un spectacle visuel, réflexif, chargé d'émotions. C'est un travail ouvert. Je ne monte jamais de spectacles narratifs. Mon travail est une série de propositions expérimentales.

- Qu'est ce qui distingue la première version du spectacle de la deuxième?

- La première version rassemble 3 cantaores et il y a une trentaine de cloches sur scène ainsi qu'une vidéo projection en fond de scène. La deuxième version est une version réduite de la première. Il y a moins de cloches, moins de cantaores et il n'y a pas de projection vidéo.

- Tu as présenté la première version récemment, au Festival Flamenco de Nîmes. Que penses-tu de ce festival?

- C'est un festival Flamenco important et il a l'avantage d'intégrer dans sa programmation des artistes hors norme. C'est merveilleux!

- Quels conseils donnerais-tu à un danseur qui souhaite évoluer?

- L'évolution c'est avant tout une histoire de  sentiments et de volonté. Celui qui, depuis l'âge de 7 ans, éprouve l'envie de  devenir un danseur, aura plus de chance d'y parvenir que celui qui n'a jamais eu cette volonté depuis sa plus tendre enfance.

-  Une mise en garde particulière pour celui qui est dans une démarche artistique sérieuse?

- Oui, je lui recommande de ne jamais avoir peur ce que qu'il est et de ce qu'il ressent. Moi, je n'ai jamais eu peur de ne plus appartenir à la famille du Flamenco alors que je suis issu de cette tradition. Personne ne peut déclarer que je n'appartiens pas à cette famille car je l'ai vu dans ma propre maison. Il y a aussi un autre cas de figure: certains artistes qui n'appartiennent pas à cette famille et qui veulent à tout prix s'intégrer à ce milieu. Pour essayer d'y parvenir, ils revêtent les costumes à pois pour faire 'Flamenco'. C'est un leurre, évidemment. Le Flamenco n'est pas dans le vêtement. Il est dans l'âme, dans l'esprit et dans la vérité de ton expression, si tu as quelque chose à raconter. Sinon, cela reste simplement joli, mais ça ne prend pas aux tripes. Il ne faut pas avoir peur de la vie. Il est nécessaire d'avoir de l'éducation et du respect pour la vie, pour les autres,  pour notre environnement, pour le Flamenco, pour tout.

- D'où vient cette liberté d'expression que l'on ressent dans ton baile?

- C'est quelque chose de personnel. C'est une décision que j'ai prise et je m'y accroche. Il y a des gens qui me soutiennent comme Daniela Lazary, par exemple.

- On rapproche souvent ton travail à celui du danseur Israel Galvan. Qu'en penses-tu?

- Je crois que je suis plus silencieux qu'Israel, néanmoins nous défendons le même genre de danse et s'il fallait citer les danseurs qui détiennent une liberté d'expression, ce serait Israel et moi.  Nous sommes issu d'un même contexte éducatif, c'est peut être cela qui nous rapproche aussi. En peinture, il existe des courants artistiques: l'expressionnisme, le surréalisme, l'impressionnisme et d'autres. Il en est de même pour la danse Flamenca et Israel et moi appartenons au même courant relatif à  cette danse.

- Vous n'êtes pas nombreux à appartenir à ce courant artistique...

-Il y a Israel et moi... nous nous habillons en noir, nous dansons librement, sans peur. C'est bien qu'il y ait des artistes comme lui.

- Comment vois-tu l'évolution du Flamenco?

- Le Flamenco traverse une très bonne période. Avant, il était très censuré. Maintenant, il s'élargit. Les danseurs ont acquis une bonne technique et beaucoup dansent très bien. Tant que le Flamenco gardera sa liberté, il continuera à vivre.

- Quels sont les maestros qui t'inspirent dans ton baile?

- J'ai 40 ans; je n'ai plus de maîtres qui m'influencent car ils l'ont déjà fait quand j'avais 7 ans. A cette ppériode, je regardais comment ils dansaient, leur technique. Je continue à regarder ce qui se fait autour de moi, le travail des autres artistes sans pour autant que cela m'influence.

- T'intéresses-tu à d'autres disciplines artistiques?

- Oui, à la peinture, au cinéma... J'apprécie beaucoup le cinéma d'avant-garde. J'observe le mouvement des images et je m'intéresse aussi aux mouvements culturels et aux danses de chaque pays, la position corporelle inhérente aux autres danses. J'aime aussi regarder les sculptures de la Grèce antique, de l'ancienne Egypte. J'observe les positions des corps.

- As-tu une nouvelle création en élaboration?

- Oui, j'ai un nouveau projet nommé 'La pasión según se mire’ . C'est un spectacle de danse dans lequel ma partenaire artistique est la danseuse Pilar Albarracin. Il y aura plusieurs artistes invités comme Lole Montoya, Concha Vargas, José de la Tomasa. Il n'y a pas de dramaturgie ni d'histoire dans ce spectacle. Ce sont des moments où chacun s'exprime librement.

- Merci Andrés, et à tout à l'heure pour 'El cielo de tu boca'.

- Merci à toi!

 

 

Visiter le site Web d'Andrés Marin: www.andresmarin.es

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Remerciements à Daniela Lazary pour son aide précieuse.