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Interview d'Andrés de Jerez

 à Paris, en mars 2018

Réalisation: Isabelle Jacq Gamboena

 

En 2014, Andrés de Jerez et Samuelito se rencontrent au festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan, qui marque le début d'une belle amitié ponctuée de collaborations artistiques. De cette rencontre, un projet commun est né, faire un disque de flamenco puro, celui de l'émotion comme le cante d'Andrés, celui de la fraîcheur comme le toque de Samuelito. C'est ainsi que l'album « Arañando el alma » a vu le jour et que le public parisien a eu le bonheur d'assister à la sortie de cet opus, lors d'un concert qui a eu lieu le 12 janvier 2018, à la Chapelle des Lombards. Nous avons eu le plaisir d'y assister et de retrouver Andrés et Samuelito, quelques temps après, dans un café parisien, pour un entretien chaleureux et imprégné des aromes de Jerez:

 - Andrés de Jerez, tu es un cantaor de Flamenco puro bien connu des aficionados. Parles nous de Jerez, ta ville natale et de tes débuts dans le chant.

Andrés: - J’ai grandi dans une famille qui, sans être des artistes, étaient des aficionados au bon cante. Même s’il aimait le chant, mon père ne voulait pas que je devienne chanteur. Alors, mon grand-père  m’amenait en cachette dans des lieux où on pouvait écouter le chant. Tout petit, vers l’âge de 5 ans, il m’amenait à la peña Los Tabancos dans le quartier El Chicle de Jerez ainsi qu’à la peña El Cordobes. C’était une peña taurine mais plus flamenca que taurine. Il y avait beaucoup de fêtes Flamencas là bas. Parmi les Flamencos qui fréquentaient ce lieu, il y avait Agujetas, El Moneo, el Torta, Rubichis, tous les gens du Flamenco. J’étais un enfant, et je chantais mes petits fandangos tandis qu’ Agujetas, el Torta m’interpellaient pour que je continue à chanter mon répertoire. Je n’avais pas honte de chanter devant ces grands ! Le chant est toujours sorti de mon âme avec beaucoup de sincérité.

 - Tu as bien connu ces artistes, n’est-ce pas ?

Andrés:- Oui, j’ai bien connu tous ces artistes. J’ai connu le père, le fils ainsi que grand père Agujetas à qui j’ai dédié ma Solea dans mon disque « Arañando el alma ». J’ai bien connu aussi El Tio Chalao ; je l’ai fréquenté durant les 15 dernières années de sa vie, à la peña la Buleria. Je fréquentais aussi El Moneo, Los Mijitas. El tio Negro, je l’ai bien connu aussi.

- Comment as-tu appris à chanter ?

 Andrés: Je n’ai pas appris à chanter ; cela ne s’apprend pas. Je le porte en moi. Dieu m’a donné le don de chanter et il m’a aussi donné la chance d’être en relation avec les meilleurs Flamencos.

- Quand as-tu décidé d’en faire ton métier ?

Andrés:- Je chantais beaucoup, lors d’évènements comme les baptêmes, les mariages et les fêtes. On m’emmenait dans beaucoup d’endroits, notamment à la la peña Los Cernicalos   pour chanter. C’est la 3ème peña la plus ancienne d’Andalousie. J’y allais depuis l’âge de 14 ans. Là bas, je fréquentais les bons aficionados qui avaient connu directement Manuel Torre. Je chantais avec eux.  C’est aussi dans cette peña, en 1989, que je suis monté sur scène et que j’ai chanté officiellement pour la première fois lors d’un cycle Flamenco qui y était organisé.

- Le 12 janvier 2018, tu as donné un concert mémorable à la Chapelle de Lombards, à Paris, pour célébrer la sortie de ton premier album « Arañando el alma ». Nous avons eu la chance d'assister à ce concert. C’était vraiment une soirée magique !

Andrés:- Oui, cette soirée était imprégnée d’aromes Flamencos, tout d’abord parce que ma femme m’avait concocté une surprise. Je voyais bien qu’elle préparait quelque chose pour ce concert, mais elle ne voulait rien me dire. Au début du concert, le public et moi avons découvert ce que c’était : on entendait un enregistrement sonore dans lequel les membres de ma famille et mes amis m’adressaient des messages tendres et affectueux. J’étais tellement ému que j’ai failli pleurer d’émotion! Mais je me suis dit que si je pleure, je ne pourrai pas chanter. Dans ce cas là, j’ai la formule. Je pleure de l’intérieur et je chante pour les autres. Vraiment, je ne m’attendais pas à écouter cela sur scène. C’était un des beaux moments de cette soirée !

- Oui, pour le public, il y a eu a beaucoup d'autres moments très forts. Les aficionados ont exprimé leur enthousiasme dans la salle, et nous avons tous été bouleversés par ton talent et par ton magnifique album. Pour toi, que représente ce disque ?

Andrés:- Ce disque, c’est ma vie !  il représente ma vie depuis mes 5 ans jusqu’à maintenant, alors que j’ai 54 ans. C’est une chose extraordinaire aussi d’avoir rencontré Samuelito, le guitariste avec lequel j’ai décidé d’enregistrer l’album. Quand on s’est rencontré, il avait 19 ans, à l'époque.

- Comment as-tu rencontré Samuelito et que dirais-tu de lui?

Andrés:- On s’est rencontré à Mont de Marsan, pendant le Festival Arte Flamenco où Samuelito était bénévole. C’est David Ceccarelli, un artiste de Jerez et ami commun qui nous a présenté. Il aimait m’écouter chanter, moi j’appréciais beaucoup sa manière de jouer. Nous avons tout de suite eu envie de travailler ensemble. Samuelito a beaucoup de talent et il est en voie de devenir un grand artiste! Sa personnalité, sa noblesse, sa musique, il a tout pour réaliser une belle carrière artistique internationale ! De plus, nous avons un très bon contact, une  belle connexion d’âme. Ensemble, nous sommes déjà en train de penser à notre deuxième album !

- Comment est né le projet de réaliser ce premier album « Arañando el alma » ?

Andrés:- J’ai donc rencontré Samuelito à Mont de Marsan et nous sommes devenus amis. A cette période, Michel Monpontet, sa femme Suzanne et sa sœur Gema avaient le projet de créer un Festival Flamenco d’ Estella, à Pamplune. Ce festival avait lieu  du 16 au 18 juillet 2015. Il nous a proposé d’y participer et nous a intégrés dans la programmation. A l’affiche du festival, il y avait aussi les guitaristes Jeronimo Maya et son frère Leo de Aurora ainsi que le cantaor Chiqui de Jerez. Puis, grâce à notre ami Isidoro, nous avons fait un concert à peña Flamenco en France, à Paris. C’est à ce moment là que j’ai proposé à Samuelito de faire un disque avec lui.

- L’album contient 8 thèmes. Pourrais-tu nous préciser leur contenu ?

- L’album commence par le thème « Libertad » (« liberté »). Je lui ai donné ce titre car le mot « libertad » est contenu dans  les premières letras que je chante :

« El querer no se podía ocultar

mas Voy a la audencia de Cádiz

De rodillas yo me jinco

Y te saco en libertad »

 Ce sont des letras populaires, c’est une  Solea por buleria. Dans le deuxième thème qui s’intitule « Taranto de la Moreria », les premières letras sont de Chocolate ; j’ai composé les paroles de la 2eme letras. Puis, c’est « Besos a mi mujer », un tientos avec un final Tangos/ Rumbas. C’est un chant canastero que fait mon ami Capullo. Je le termine por Tango Rumba et c’est là que je chante mes letras :

“De menta, canela y limón

Son los besos que te daba

Los besos que te daba yo”

 Je dédie ce thème à ma femme.

Le quatrième thème « Al viejo Agujetas », c’est une Solea avec des paroles tirées du répertoire populaire. Pour « Lamento », le cinquième thème, j’ai choisi de chanter por Seguiriya, car la Seguiriya est un palo tragique et sombre qui exprime une plainte, la douleur. Dans ce thème, ce sont des paroles tirées du répertoire populaire. Dans sixième thème « Al Tio Chalao », je rends hommage à Chalao, ce grand cantaor. Je l’ai fréquenté pendant les quinze dernières années de sa vie, dans sa peña. Je le considère comme mon Maestro. C’était un homme très sympathique, il était toujours prêt à m’aider. « La malalengua », (la mauvaise langue) la 7eme chanson, c’est un Fandango. Il s’adresse aux êtres qui médisent sur les autres par jalousie, par méchanceté ou par avidité matérielle et à cause de toutes ces  mauvaises choses qui pourrissent les relations humaines. Ce thème regroupe quatre Fandangos, un que chante Manuel Agujetas, le deuxième c’est Miguel Fernandez, un ami, qui me l’a donnée. Les deux autres letras, j’en suis l’auteur :

“Se paseaba por el lo de una espada

Una serpiente se paseaba

Y por mas que corte un lo

Mas corta una mala lengua

Que habla lo que no es debido”

 Pour moi, le chant Flamenco, c’est un message qui s’adresse à tous et qui peut toucher chacun de nous. Il y a un Fandango pour chaque situation. C’est un message qu’on adresse aux autres, à l’humanité entière. Pour moi, un bon palo, c’est comme une bible. Pour tous ceux qui lisent la bible, on peut se sentir concerné davantage par un verset que par un autre ; chaque verset n’a pas le même impact sur les uns et les autres.

La 8eme chanson  « Al Tio Negro », évoque un autre cantaor,  Tio José « El Negro del Puerto »,  que j’ai bien connu et à qui je dédie cette chanson. Il faisait des chants appelés les Corridos Gitans. C’était un peu dans le style des chants de ces troubadours qui allaient de ville en ville pour annoncer des nouvelles. Ce palo sans accompagnement musical conclut le disque.

- Qu’est ce qui te motive pour chanter et qu’aimes-tu chanter ?

Andrés:- A Jerez, on dit de moi que je suis un cas spécial car je ne suis pas issu d’une famille d’artistes Flamencos, et pourtant je porte le cante Flamenco en moi d'une manière innée. En fait, avec l’expérience que j’ai  acquise auprès maestros cantaores de Jerez, cela équivaut à une transmission familiale. Quand je chante, je chante ma vie, mes peines, mes douleurs, mes joies. Je chante ce qui sort de moi ; quand je chante, je me sens libre et tranquille. El Tio Alfedro me disait que le Flamenco, c’est mon médicament. Il a bien raison !

- Ton chant, c’est ton médicament mais c’est aussi un médicament pour ceux qui t'écoutent !

Andrés:- Merci! Oui, c’est pour cela aussi que je chante et que je le partage avec tout le monde!

- Comme nous le disions tout à l’heure, cet album est le fruit d’une collaboration artistique entre Samuelito et toi. Samuelito, quelle est ta part de participation dans l’élaboration de cet album ?

 Samuelito: - Andrés et moi nous nous sommes rencontrés en 2013, on se connait bien et notre lien a évolué en une belle amitié. L’envie d’enregistrer cet album vient de nous deux. Pour ce qui est d'organiser l’enregistrement du disque, c’est moi qui me suis occupé de tout.

 - Tu es donc le directeur artistique du projet, n’est ce pas ?

Samuelito:- Oui, en effet, j’ai décidé de la manière dont les choses allaient se passer, jusqu’au choix des huit thèmes. Andrés a choisi de chanter les Corridos, mais les autres palos, je l'ai ai choisis, en accord avec Andrés. J’ai composé toutes les falcetas de l’album. Elles ont été spécialement conçues pour ce disque.

- Comment avez-vous travaillé ensemble pour l’élaboration de cet album ?

-Samuelito: Du fait que l'on a enregistré en studio, sous la forme d’un live, il a fallu préparer les falcetas avant l’enregistrement. Andrés a préparé ses letras, plus ou moins d’ailleurs car pour la Solea, par exemple, on a fait plusieurs prises et il n’a pas chanté les mêmes letras à chaque fois.

 - Quel est ton sentiment sur cet album ?

 Samuelito:- C’est très émouvant pour moi, et même encore plus  pour mon père car, une des choses qui m’ont amenées au Flamenco c’est le fait que, quand j’étais enfant, j’écoutais un disque d’Agujetas que mon père avait ramené à la maison. Il avait vu le film de Dominique Abel et il était tombé amoureux du chant d’Agujetas ainsi que du personnage. Je me suis imprégné de cela… j’avais 4 ans. Tu imagines, 20 ans après, je ramène un disque de Flamenco puro de Jerez de l’école d’Agujetas! C'est vraiment énorme!  Andrés vient de cette école là, du chant très rancio de Jerez. Andrés a connu Agujetas, il a passé beaucoup de temps avec lui. C’est une personnalité tellement forte ! Andrés en a été forcément imprégné et impacté, lui aussi. Le fait de passer beaucoup de temps avec Andrés et de bien connaitre son chant, cela me touche beaucoup aussi.

 - Cette collaboration avec Andrés, cet enregistrement d’album avec lui, qu’est ce que cela t’a apporté encore?

 Samuelito:- C’est une immersion dans le Flamenco le plus authentique, et ça c’est une chance.

 - Même si tu la mérites, cette chance…

 Samuelito:- En tous cas, c’est là. On a séjourné une semaine à Jerez ensemble, il y a deux semaines. Là bas, Andrés c’est la mascotte. Il connait tout le monde et tout le monde le connait. J’ai été au Chicle,  chez sa mère; sa maison se situe en face de la maison d’Agujetas ! j’ai mangé des pucheros, des pollos asados, les mêmes que ceux que mangeaient Agujetas. C’est une vraie imprégnation !

 - En effet… Andrés, parle nous de ta collaboration avec les autres musiciens qui ont participé à l’enregistrement de cet album ?

 Andrés:- Parmi les palmeros, il y a Isidoro Fernandez. Je le connais depuis longtemps, depuis son plus jeune âge. Nous avons étudié ensemble au Lycée, à Jerez. Il est un peu plus jeune que moi. On se fréquentait déjà à cette époque.  Par la suite, il est venu à Paris et, comme il porte le Flamenco en lui, dorénavant il se dédie à cet art avec beaucoup de talent. Dans l’album, il y a aussi la participation de Juan Manuel Cortes, un musicien de référence. Samuelito le connaissait. Il y a aussi Dani Barba aux palmas et jaleos. C’est aussi un guitariste. C’est aussi une très bonne personne et un bon musicien. Je suis très content de toute l’équipe de musiciens qui a participé  à l’enregistrement de cet album. Je suis aussi heureux aussi pour la qualité d’enregistrement du son ; ce travail a été réalisé par Jean Louis Solans et Guillaume Dujardin. Je remercie  Miguel Angel Gonzalez pour la photo de couverture et la jaquette. Je tiens aussi à remercier tous les musiciens qui ont travaillé sur ce disque,  ainsi que le label Buda Records, les studios Solanito et Ferber. On a enregistré cet album autour de tapas, dans une ambiance très sympathique. Ma femme est venue, ainsi que la compagne de Samuelito ainsi que d’autres amis. Nous avons tous  passé un très bon moment !

- Ton chant comporte une forte dimension émotionnelle. Comment arrives-tu à cela ?

Andrés:- C’est totalement inexplicable. C’est ainsi. C’est peut être lié à ma sensibilité et ma reconnaissance envers ma terre natale, le cante de Jerez et ses cantaores. Je pense par exemple à Pepe Castaño, Alfredo Benitez qui me suivent depuis toujours. D'ailleurs, nous avons un projet d’enregistrer un disque avec des artistes qui n’ont encore jamais réalisé de disque.

-  Quelle est la part de technique dans ton cante?

- Il n’y a rien de technique dans ma manière de chanter. Cela part du cœur et va directement au cœur. Si je pense, je ne chante pas.

-  Pourtant, tu enseignes le chant, n’est-ce pas ?

Andrés:- Je vais t’expliquer les choses pour que ce soit plus clair. Le chant inné ne s’apprend pas. Mais si tu as de l’aficion,  que tu écoutes et que tu ressens le Flamenco, que tu le vois vibrer de l’intérieur,  voila ce qui peut te rapprocher du cante. Cet état d’esprit et d’émotions, c'est possible de l' acquérir. C’est cela que j’enseigne, avant tout. Mes cours sont quotidiens, simples. J’explique, entre autre, l’histoire de chaque palo, donc un ensemble de choses qui permettent de progresser dans le cante.

- Tu vis en France du coté de Bordeaux, depuis quelques années. Comment ressens-tu l’aficion au Flamenco dans ce pays ?

Andrés:-  L’aficion française est très bonne. Il y beaucoup de français qui assistent au Festival de Jerez, à Séville, à Jerez. J’ai été très ému par l’aficion que j’ai ressenti à la Chapelle des Lombards à Paris, lorsque nous avons présenté notre disque. Ce n’est pas seulement de l’aficion à la danse ou à la guitare, mais c’est aussi cette aficion au cante ! Je tiens à remercier Paco el Lobo qui était présent aussi ce soir là car c’est lui qui nous a mis en contact avec le label Buda Records. C’est donc grâce à lui  que nous avons trouvé un bon label. Je le remercie vraiment !

 - Andrés et Samuelito, quels sont vos projets de tournée pour la sortie de ce disque ?

Andrés: - Oui, nous avons le projet de présenter le disque à Jerez, au mois de juin. Nous irons aussi à Caen, en terre Normande, ainsi qu’à un Festival dans le Léon, en Espagne. Nous avons d’autres concerts en cours de confirmation.

-  D’autres projets ensemble ?

Andrés: - Oui, nous avons le projet d’enregistrer un deuxième album ensemble. Les éléments se mettent en place peu à peu.

 - Andrés et Samuelito, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien. Nous vous souhaitons beaucoup de succès pour la tournée de votre magnifique album « Arañando el alma » et nous espérons vous revoir très bientôt, sur la scène parisienne aussi !

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