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Interview d'Andrés Marin

réalisée par Isabelle Jacq Gamboena

 en octobre 2011,  pour Musique Alhambra

 

 

Nous avions assisté au spectacle 'Vanguardia jonda' d'Andrés Marin en juillet 2010, dans le cadre du Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan et c'est avec un immense plaisir que nous avons vu une nouvelle représentation qui avait lieu le 14 octobre 2011  au théâtre des Bergeries, dans la région parisienne. Après ce spectacle  plein de duende, nous avons prolongé les moments délicieux au travers d'une interview que ce grand danseur nous a accordée, très chaleureusement, dans sa loge:

- Andrés, merci pour le magnifique spectacle auquel nous avons assisté, ce soir. Comment présenterais-tu, en quelques mots, cette création?

- Ce sont des fragments d'un premier spectacle intitulé 'El alba del ultimo dia' ('L'aube du dernier jour'). Dans ce spectacle, j' évoque l'esprit des cafés cantantes, les chants que l'on interprétait dans ces lieux; c'est un spectacle assez poétique.(...) L'introduction au piano, c'est une chose habituelle dans les cafés cantantes.  C'est aussi un parcours agrémenté d'une grande variété de palos*, ceux qui étaient très courants là -bas. De plus, ce spectacle me sert de laboratoire de recherche pour pratiquer toutes mes chorégraphies, mes changements et en faire quelque chose de très différent, à chaque fois.

- Le titre 'Vanguardia jonda', l'as-tu choisi pour exprimer le fait que l'avant- garde peut être aussi profonde que la tradition?

- L'avant-garde, c'est ce qui est actuel et la profondeur sera toujours actuelle. Le Flamenco jondo est un art qui n'a jamais suscité beaucoup d'intérêt auprès d'un large public, ni avant, ni maintenant. C'est d'ailleurs pour cela qu'il y avait des tablaos* dans lesquels on pouvait voir et écouter des choses très folkloriques pour les touristes. L'art jondo n'a jamais vraiment eu beaucoup de succès. La jondura, on l'a ou on ne l'a pas. On peut être jeune et avoir de la jondura; on peut aussi être un chanteur classique et ne pas avoir de jondura*. Le fait de chanter un cante ancien n'est pas forcément synonyme de profondeur. La jondura arrive dès lors que l'interprète souffre; il exprime cette souffrance et l'auditoire l'entend, la reçoit et lui aussi, il souffre à son tour. Ce n'est pas parce qu'on chante por seguiriya que cela est jondo. Il est vrai que dans la jeunesse actuelle, il y a peu de gens qui détiennent cette jondura. Il y en a quand même quelques uns qui accordent beaucoup d'importance aux choses anciennes. Mais, dans ce cas, il faut prendre garde à ne pas tomber dans la nostalgie et le romantisme en vivant uniquement dans le passé. Toutefois, il est vrai qu'il ne faut pas oublier les codes et les éléments que nous laissèrent nos ancêtres. Il est important de connaitre la tradition pour évoluer.

- En ce qui te concerne, ton passé, que t'a-t-il apporté?

- Le passé m'a donné un père qui était bailaor, un mère qui fut chanteuse. J'ai grandi sur la scène. D'une certaine manière, le passé m'a permis de comprendre ce qu'est le langage du Flamenco; il m'a apporté un regard personnel qui parfois, quand j'étais petit, me faisait éprouver une aversion profonde envers la scène. En fait, je n'aimais pas que ma mère monte sur scène car, à ce moment là, je n'étais plus son centre d'intérêt. Je n'aimais pas cette sensation. Mais tout cela a forgé ma perception de cet art et c'est ce qui me permet, désormais, de m'exprimer à ma manière.

- Ton père était un danseur Flamenco traditionnel, n'est-ce pas?

- Oui...il m'a enseigné les codes, les bases du Flamenco, ce qu'est une escobilla*, un remate*, etc. Il m'a appris aussi à identifier le bon goût du mauvais goût.

- D'où vient, chez toi, cette nécessité d'innover?

- En fait, je ne cherche pas à innover mais plutôt à m'exprimer. Je recherche davantage le langage de l'être humain qu'un langage codifié, traditionnel, celui dont quelques personnes ont déclaré que c'est cela le Flamenco. A chaque époque, voire même à chaque décennie, le Flamenco change en fonction des gens. Ce qui m'intéresse par dessus tout, c'est le geste, le langage de l'être humain dans son aspect primitif, ancestral. Un homme ou une femme qui fait un geste particulier retient davantage mon attention qu'un geste militaire, dictatorial. Je pense que l'art vient de l'expression de l'être humain, qu'il est un langage primitif, celui que nous reconnaissons tous. Tout le reste, c'est des modes qui passent.

- Quelle place accordes-tu au chant et à la musique quand tu danses?

- J'accorde beaucoup de valeur au chant car il détient un pouvoir immense; d'ailleurs, je me considère comme un chanteur frustré. J'aime beaucoup chanter. A la musique, je lui donne sa place, ses silences. Je suis un danseur qui ne recherche pas l'effet. Je ne suis pas racoleur à l'égard du public. Je ne recherche pas l'effet extérieur en utilisant, par exemple, des arrêts secs pour que le public réagisse. Je suis plutôt intériorisé et j'ai toujours suivi ma dynamique musicale. Donc, pour la musique qui m'accompagne, il en est de même; je lui donne toute sa place car elle participe à cette recherche de subtilité et non à celle de l'effet.

- L'acte de danser, qu'est ce qu'il signifie pour toi?

- Pour moi, la danse, c'est comme une méditation. Arriver à être soi-même sur scène, ce n'est pas évident. S'il y a un moment où le danseur arrive à être lui-même sur scène, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, le public reste avec ce geste, surement. Cela peut lui plaire ou non, mais le geste reste présent dans sa mémoire et il ne l'oublie pas. Un geste intérieur, cela marque les esprits. A l'inverse, un geste qui est provoqué gratuitement s'oublie dans la minute qui suit. Au fond, être avec soi-même, c'est le chemin de tout être humain.

- Lorsque tu danses, ta gestuelle et la musique atteignent le silence... c'est assez extraordinaire.

- Oui, mais tout le monde n'est pas fait pour supporter le silence. Le silence, c'est très dense et cela peut faire très mal. Les gens préfèrent se divertir.

- Si tu devais choisir entre le fait de danser avec un rythme ou avec une mélodie, que choisirais-tu?

- Je ne peux séparer les deux. Mais, je peux danser avec le silence car c'est aussi une mélodie et la mélodie peut changer. Parfois, il y a des mélodies qui me plaisent plus ou moins, mais comme mes musiciens sont excellents et que j'aime beaucoup leur travail, je suis rarement insatisfait. De temps en temps, il y a des musiciens qui font des musiques douces; cela passe moins bien car je ne suis pas quelqu'un de doux.

- Quand tu danses, à quoi penses-tu?

- Dans ces moments là, il se passe beaucoup de choses en moi et j'écoute beaucoup le chant...

- Quelle est la part d'improvisation quand tu danses dans ce spectacle?

- Je travaille beaucoup à l'improvisation. Je pourrais définir une chorégraphie et la répéter à chaque nouvelle représentation, mais cela m'ennuierait. C'est pour cela que ce spectacle, je l'utilise comme un laboratoire de recherche. Aujourd'hui je vais par ici, demain, j'irai par là et finalement, personne ne sait réellement ce que je fais, ni moi-même d'ailleurs; mais c'est ce qui me donne l'adrénaline.

-Tu aimes prendre des risques, n'est-ce pas?

- Oui, cela m'a toujours plu, et cela, depuis mon enfance.

- Quel danseur apprécies-tu le plus?

- J'aime beaucoup Nijinsky. Pour moi, il incarne la perfection.

- En parallèle de ta carrière artistique, tu enseignes le Flamenco dans ton école, à Séville. Pourrais-tu nous parler de cette école et des grandes lignes de ta pédagogie?

- Mon école s'appelle 'Flamenco abierto' ('Flamenco ouvert'), et comme son nom l'indique, c'est un lieu ouvert à tout type de personnalités. L'important pour moi, c'est d'apporter aux élèves les codes pour qu'ils aient les éléments pour avancer. Dans l'école, on enseigne aussi le cante avec José de la Tomasa. Il y a aussi des cours de baile pour débutants avec Vicky Barea, une danseuse magnifique. Je m'occupe du niveau professionnel. Pour évoluer dans le baile, il faut se connaitre soi-même et connaitre le flamenco très jondo, savoir aussi ce qu'est la tradition du Flamenco, non la tradition d'il y a 10 ans (ce n'est pas la tradition) mais celle des origines du Flamenco. Il est nécessaire de faire l'apprentissage de tous les codes que nous léguèrent tous les interprètes et qu'apportèrent ceux qui sont arrivés par la suite. L'important c'est de ne pas se déguiser en bailaor, mais plutôt de savoir manier tous ces outils, donner ta personnalité à cette matière et faire quelque chose avec ta personnalité. Chacun a un vécu qui lui est propre. Il faut connaitre les gestes, les mouvements, mais ne pas rester dans le folklore. Le Folklore de l'Espagne, c'est ce que l'on voit dans les cartes postales (les robes à pois etc.). Cela me plait, mais le Flamenco, ce n'est pas cela. Pour moi, le Flamenco est un moyen d'expression.

- Tes projets?

- Continuer à faire tourner plusieurs spectacles comme 'La pasion segun se mire', qui le plus grand spectacle. J'ai un autre spectacle; il est intitulé 'El cielo de tu boca'. Il est plus dense, plus noir. Je travaille aussi sur un nouveau projet intitulé 'Tetuano' ('La Moelle') que je monte pour le Festival de danse de Montpellier. J'y évoque l'aspect cyclique de l'existence humaine, l'être humain qui va et revient au même point et qui, au fond, reste toujours au même point. C'est un spectacle très épuré, spirituel, très dense. Nous le présenterons au mois de juin prochain.

- Merci Andrés, et à très bientôt

- Merci à toi...

Reportage sur le spectacle 'Vanguardia Jonda': voir

Visiter le site Web d'Andrés Marin: http://www.andresmarin.es

* Voir le vocabulaire du Flamenco: cliquer ici