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Béatrix, vous êtes Directrice artistique de la Biennale
des Musiques Ibériques de Colomiers qui fête, cette
année, sa 10 ème édition. Pourriez-vous nous parler de
votre parcours professionnel et ce qui vous a amené à
assumer cette fonction?
- Au
départ, je suis une gestionnaire de la culture. Gérer de
la culture, c’est aussi, dans notre jargon
professionnel, programmer des actions, des évènements.
Mes premières missions concernant la programmation étant
en terre d’exil ibérique, on m’a demandé d’avoir des
propositions avec l’Espagne, dans sa globalité. Il y a
15 ans, j’ai commencé à faire connaissance avec les
Flamencos et le Flamenco dans tous ses répertoires et
esthétiques : la danse, le chant et la musique. Cela
fait donc plusieurs années que je travaille avec les
ibérités, avec tous les artistes, avec ceux qui vivent
en Espagne et aussi ceux qui sont les fils de l’exil.
- Quelle est la raison de la diffusion
nombreuse du Flamenco, dans cette région Midi Pyrénées ?
- Toulouse
est la capitale de l’exil espagnol, donc il y a un
rapport à la communauté ibérique qui s’inscrit dans le
temps et vraiment dans le long terme. Tout s’explique,
il n’y a pas de hasard et les choses étaient faites pour
se rencontrer, pour continuer d’être favorisées et
valorisées.
- Votre lien avec le Flamenco, quel
est-il ?
- J’ai un
goût très prononcé et une passion pour ces artistes qui
vivent cette musique, la ressentent, et surtout pour les
artistes qui sont de la transmission. C’est cela qui me
passionne dans le Flamenco. Ce ne sont pas des artistes
qui sont dans la démonstration. Ils veulent partager,
transmettre. C’est bien une culture de l’oralité. Quand
ils vous proposent un spectacle, une prestation, c’est
pour qu’il y ait un avant, un pendant et un après. On
est dans l’artistique, mais avec le Flamenco, ce qui
fait vibrer, c’est qu’on est aussi terriblement dans
l’humain. Tout témoigne du fait qu’il faut avoir de la
curiosité pour les autres cultures, qu’il ne faut pas
avoir de préjugés, mais faire connaissance.
-
Comment avez-vous élaboré l’extraordinaire programmation
de cette 10 ème Biennale des Musiques ibériques? Quel
était votre objectif en tant que Directrice artistique ?
- A
évènement particulier et exceptionnel, je voulais une
programmation particulière et exceptionnelle ; c’est
normal. En définitive, je voulais les plus grands
artistes, les plus généreux et les plus talentueux avec
nous pour cette édition. Donc, j’ai lancé des
invitations en vrac auprès de Diego Amador, de Belen
Maya, Rafaela Carrasco et Joaquin Grilo, qui étaient
déjà venus à Colomiers, une première fois sur ces 6
années de programmation. Je voulais les réunir dans un
spectacle en particulier. En discutant avec Daniela qui
est mon relais avec l’Espagne, je lui ai fait part de
mon souhait. Elle en a parlé aux artistes et, du fait
qu’ils ont beaucoup d’affinités humaines entre eux et
qu’ils se sont aperçus qu’ils n’avaient jamais travaillé
ensemble, alors, ils se sont lancés en créant la « Revue
Flamenca ». C’est un magnifique cadeau aussi car ce
spectacle n’a jamais été joué auparavant et il ne le
sera surement jamais rejoué. C’est un spectacle qui
devait durer 2 fois une heure et, en fait, il s’est
prolongé au-delà du temps imparti. On a senti que
c’était « cadeau » de leur part… C’était très émouvant.
- En
plus de la création « Revue Flamenca », plusieurs
spectacles que vous avez programmés dans cette édition
sont des exclusivités Région Midi Pyrénées : le concert
éducatif « Il était une fois Concha » et « Fiesta de la
Buleria », spectacle auquel nous avons eu le plaisir
d’assister hier soir. Cette exclusivité, c’est vous qui
l’avez demandée?
- Le
spectacle « Fiesta de la Buleria » avait été déjà
diffusé en 2013, à la Cité de la Musique, à Paris. Mais,
pour cette année 2014, c’est une exclusivité pour
Colomiers, c'est-à-dire que les artistes témoignent de
leur attachement à notre territoire en donnant
l’exclusivité eux-mêmes. Moi, je n’ai rien demandé.
C’est une reconnaissance de la part des artistes. On
n’est plus seulement dans la vente de contrat de
cession. On a dépassé cela depuis longtemps.
-
Miguel Poveda était l’invité d’honneur de cette édition,
n’est-ce pas ?
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Effectivement, comment fêter un anniversaire sans Miguel
Poveda ? Miguel, c’est un artiste que j’ai déjà
programmé à 2 reprises sur d’autres lieux que je
dirigeais. C’est un artiste que j’aime avoir à mes cotés
tout au long de ma carrière parce que c’est un artiste
tellement exceptionnel ! Il n’est jamais le même, si ce
n’est humainement car il est terriblement généreux. Hier
soir, lors de son spectacle, il a invité Concha Vargas
et Juana la del Pipa à monter sur scène avec lui, pour
qu’elles fassent un extrait. Ce n’était pas prévu ; il
est vraiment talentueux et terriblement élégant !
-
Concernant le taux de fréquentation des spectacles, y
a-t-il des variations, d’une édition à l’autre ?
- Sur les
dernières éditions, nous avons triplé la fréquentation,
à partir de 2010. Il y a eu un virage qui s’est produit
dans l’affect du public et on est passé d’une
fréquentation multipliée par 3 et des recettes
multipliées par 3 aussi. C’est un évènement qui a une
vie économique très saine et très autonome, en dehors
des subventions et du mécénat d’entreprises qui sont
aussi très attachées à la manifestation, qui veulent
participer via un financement, forcément. Nous avons
observé une très belle fréquentation cette année aussi.
Je n’ai pas encore les chiffres définitifs. Nous étions
un peu soucieux du fait que c’est le dimanche des
élections et donc nous pensons que nous serons au
minimum au niveau du prévisionnel financier et de
fréquentation. Pour la Bodega, nous avons du refuser
beaucoup de monde déjà. On a rajouté sans cesse des
chaises au niveau du parterre de la face de la salle.
- Vous
avez ouvert la programmation aux arts visuels avec la
projection d’un film intitulé « Les fils du vent »
réalisé par Bruno Le Jean. Quelle est la raison de ce
choix ?
- Projeter
« Les fils du vent », au cinéma, c’est aussi un moyen de
pouvoir mettre à l’honneur la culture manouche, plus
particulièrement. A mi-chemin entre le reportage et le
film, « Les fils du vent » permet au spectateur de
s’introduire dans le quotidien de plusieurs personnages
issus de la culture manouche. Pour différentes raisons
comme le manque de dates et de budget dédié à cela, je
ne pouvais pas consacrer un spectacle à cette culture.
Donc, au travers de ce film qui est formidable, je
trouvais intéressant de rappeler que les cultures
gitanes sont, somme toute, assez nombreuses ( cultures
Rom, manouche, sévillane ou gitane dans le terme général
des choses) et qu’il est bon aussi de pouvoir avoir un
éclairage et une meilleure connaissance de ces cultures
là, par les temps qui courent. C’est essentiel de casser
les clichés et de mieux connaitre le pourquoi des codes,
les savoir être et savoir-faire des personnes pour mieux
les apprécier. Quand on connait l’autre, il n’est plus
un étranger, il n’est plus étrange, il ne fait pas peur
et on a plus de facilité à vivre ensemble. Je pense que,
tant qu’il y aura la culture et les moyens de faire ce
genre de connaissances, nous serons mieux à même et plus
capables de vivre ensemble.
- Dans
votre programmation artistique, vous incluez aussi les
artistes de la région Midi-Pyrénées et pour cette
édition, nous avons eu le plaisir de voir le spectacle
d’un trio de guitaristes très connus du public : Serge
Lopez, Kiko Ruiz et Bernardo Sandoval. Que
souhaitez-vous nous dire à ce sujet ?
- En
définitive, il y a les Espagnols de Toulouse et les
Espagnols d’Espagne, mais ils ont en commun une âme
ibérique. Elle coule dans leurs veines ; c’est ce qui
les fait vibrer, écrire, chanter, danser. Certains n’ont
pas eu la chance, de par leur histoire, de pouvoir vivre
en Espagne. Les 3 artistes que vous avez cités sont des
fils de l’exil. Ils vivent leur ibérité à Toulouse mais
ils vont très souvent en Espagne. De toutes façons, l’ibérité,
la culture gitane, elle est dans leur être, elle est
intrinsèque. Qu’ils vivent à Toulouse où à Almeria, elle
s’exprime, elle transpire dans leur art, sur scène et
dans leur quotidien. Par les Pyrénées, nous avons un
lien géographique avec l’Espagne. Eux, c’est aussi le
lien humain et l’héritage vivant qui les rattachent à
l’Espagne et, cela, il faut le partager. C’était
tellement beau hier ! Ils étaient si généreux, si
talentueux et très élégants!
-
Quelles sont vos impressions sur cette édition? En êtes-vous satisfaite ?
- … En
définitive, le rêve s’est réalisé, car tout était au
rendez-vous : le talent des artistes, le public et la
connivence entre les deux. Dans tous les spectacles, le
lien entre le public et les artistes était là. Sur
facebook, nous avons beaucoup de témoignages du public
et les gens sont de cet avis ; certains ne croyaient pas
qu’il pouvait y avoir une telle programmation dans notre
région. Donc, une fois de plus, le bilan est on ne peut
plus satisfaisant, dans tous les registres. Je sais
qu’il restera une trace car au-delà de l’artistique car
il s’est passé quelque chose humainement.
-
Avez-vous déjà une idée de la programmation de la
prochaine édition ? Travaillez-vous longtemps à l’avance
entre chaque édition ?
- Un an
avant, je travaille. La prochaine biennale aura lieu
dans deux ans, mais chaque année, je donne un grand
spectacle de Flamenco parce que le public me le demande.
Il trouve que ça fait un peu long d’attendre deux
saisons culturelles avant de retrouver une programmation
Flamenca. Donc, chaque année, au mois de mars, je fais
une grande soirée. Cette fois-ci, je souhaiterais
travailler pour créer un spectacle qui serait un hommage
à Paco de Lucia. Avec qui ? Je ne sais pas encore, mais,
assurément, l’année prochaine, il y aura un
spectacle qui sera dédié à sa mémoire, à son travail, à
tout ce qu’il a laissé et à tout ce qu’il a transmis.
-
Merveilleux projet ! Merci beaucoup Beatrix pour cette
magnifique édition et pour le temps que vous nous avez
accordé… à très bientôt !
- Merci
beaucoup à vous aussi…
Reportage sur la 10ème Biennale des
Musiques Ibériques de Colomiers:
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