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Interview de  Béatrix Bordes

réalisée par Isabelle Jacq Gamboena

 en mars 2014

 pour Musique Alhambra

 

 

- Béatrix, vous êtes Directrice artistique de la Biennale des Musiques Ibériques de Colomiers qui fête, cette année, sa 10 ème édition. Pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel et ce qui vous a amené à assumer cette fonction?

- Au départ, je suis une gestionnaire de la culture. Gérer de la culture, c’est aussi, dans notre jargon professionnel, programmer des actions, des évènements. Mes premières missions concernant la programmation étant en terre d’exil ibérique, on m’a demandé d’avoir des propositions avec l’Espagne, dans sa globalité. Il y a 15 ans, j’ai commencé à faire connaissance avec les Flamencos et le Flamenco dans tous ses répertoires et esthétiques : la danse, le chant et la musique. Cela fait donc plusieurs années que je travaille avec les ibérités, avec tous les artistes, avec ceux qui vivent en Espagne et aussi ceux qui sont les fils de l’exil.

- Quelle est la raison de la diffusion nombreuse du Flamenco, dans cette région Midi Pyrénées ?

- Toulouse est la capitale de l’exil espagnol, donc il y a un rapport à la communauté ibérique qui s’inscrit dans le temps et vraiment dans le long terme. Tout s’explique, il n’y a pas de hasard et les choses étaient faites pour se rencontrer, pour continuer d’être favorisées et valorisées.

- Votre lien avec le Flamenco, quel est-il ?

- J’ai un goût très prononcé et une passion pour ces artistes qui vivent cette musique, la ressentent, et surtout pour les artistes qui sont de la transmission. C’est cela qui me passionne dans le Flamenco. Ce ne sont pas des artistes qui sont dans la démonstration. Ils veulent partager, transmettre. C’est bien une culture de l’oralité. Quand ils vous proposent un spectacle, une prestation, c’est pour qu’il y ait un avant, un pendant et un après. On est dans l’artistique, mais avec le Flamenco, ce qui fait vibrer, c’est qu’on est aussi terriblement dans l’humain. Tout témoigne du fait qu’il faut avoir de la curiosité pour les autres cultures, qu’il ne faut pas avoir de préjugés, mais faire connaissance.

- Comment avez-vous élaboré l’extraordinaire programmation de cette 10 ème Biennale des Musiques ibériques? Quel était votre objectif en tant que Directrice artistique ?

- A évènement particulier et exceptionnel, je voulais une programmation particulière et exceptionnelle ; c’est normal. En définitive, je voulais les plus grands artistes, les plus généreux et les plus talentueux avec nous pour cette édition. Donc, j’ai lancé des invitations en vrac auprès de Diego Amador, de Belen Maya, Rafaela Carrasco et Joaquin Grilo, qui étaient déjà venus à Colomiers, une première fois sur ces 6 années de programmation. Je voulais les réunir dans un spectacle en particulier. En discutant avec Daniela qui est mon relais avec l’Espagne, je lui ai fait part de mon souhait. Elle en a parlé aux artistes et, du fait qu’ils ont beaucoup d’affinités humaines entre eux et qu’ils se sont aperçus qu’ils n’avaient jamais travaillé ensemble, alors, ils se sont lancés en créant la « Revue Flamenca ». C’est un magnifique cadeau aussi car ce spectacle n’a jamais été joué auparavant et il ne le sera surement jamais rejoué. C’est un spectacle qui devait durer 2 fois une heure et, en fait, il s’est prolongé au-delà du temps imparti. On a senti que c’était « cadeau » de leur part… C’était très émouvant.

- En plus de la création « Revue Flamenca », plusieurs spectacles que vous avez programmés dans cette édition sont des exclusivités Région Midi Pyrénées : le concert éducatif « Il était une fois Concha » et « Fiesta de la Buleria », spectacle auquel nous avons eu le plaisir d’assister hier soir. Cette exclusivité, c’est vous qui l’avez demandée?

- Le spectacle « Fiesta de la Buleria » avait été déjà diffusé en 2013, à la Cité de la Musique, à Paris. Mais, pour cette année 2014, c’est une exclusivité pour Colomiers, c'est-à-dire que les artistes témoignent de leur attachement à notre territoire en donnant l’exclusivité eux-mêmes. Moi, je n’ai rien demandé. C’est une reconnaissance de la part des artistes. On n’est plus seulement dans la vente de contrat de cession. On a dépassé cela depuis longtemps.

- Miguel Poveda était l’invité d’honneur de cette édition, n’est-ce pas ?

- Effectivement, comment fêter un anniversaire sans Miguel Poveda ? Miguel, c’est un artiste que j’ai déjà programmé à 2 reprises sur d’autres lieux que je dirigeais. C’est un artiste que j’aime avoir à mes cotés tout au long de ma carrière parce que c’est un artiste tellement exceptionnel ! Il n’est jamais le même, si ce n’est humainement car il est terriblement généreux. Hier soir, lors de son spectacle, il a invité Concha Vargas et Juana la del Pipa à monter sur scène avec lui, pour qu’elles fassent un extrait. Ce n’était pas prévu ; il est vraiment talentueux et terriblement élégant !

- Concernant le taux de fréquentation des spectacles, y a-t-il des variations, d’une édition à l’autre ?

- Sur les dernières éditions, nous avons triplé la fréquentation, à partir de 2010. Il y a eu un virage qui s’est produit dans l’affect du public et on est passé d’une fréquentation multipliée par 3 et des recettes multipliées par 3 aussi. C’est un évènement qui a une vie économique très saine et très autonome, en dehors des subventions et du mécénat d’entreprises qui sont aussi très attachées à la manifestation, qui veulent participer via un financement, forcément. Nous avons observé une très belle fréquentation cette année aussi. Je n’ai pas encore les chiffres définitifs. Nous étions un peu soucieux du fait que c’est le dimanche des élections et donc nous pensons que nous serons au minimum au niveau du prévisionnel financier et de fréquentation. Pour la Bodega, nous avons du refuser beaucoup de monde déjà. On a rajouté sans cesse des chaises au niveau du parterre de la face de la salle.

- Vous avez ouvert la programmation aux arts visuels avec la projection d’un film intitulé « Les fils du vent » réalisé par Bruno Le Jean. Quelle est la raison de ce choix ?

- Projeter « Les fils du vent », au cinéma, c’est aussi un moyen de pouvoir mettre à l’honneur la culture manouche, plus particulièrement. A mi-chemin entre le reportage et le film, « Les fils du vent » permet au spectateur de s’introduire dans le quotidien de plusieurs personnages issus de la culture manouche. Pour différentes raisons comme le manque de dates et de budget dédié à cela, je ne pouvais pas consacrer un spectacle à cette culture. Donc, au travers de ce film qui est formidable, je trouvais intéressant de rappeler que les cultures gitanes sont, somme toute, assez nombreuses ( cultures Rom, manouche, sévillane ou gitane dans le terme général des choses) et qu’il est bon aussi de pouvoir avoir un éclairage et une meilleure connaissance de ces cultures là, par les temps qui courent. C’est essentiel de casser les clichés et de mieux connaitre le pourquoi des codes, les savoir être et savoir-faire des personnes pour mieux les apprécier. Quand on connait l’autre, il n’est plus un étranger, il n’est plus étrange, il ne fait pas peur et on a plus de facilité à vivre ensemble. Je pense que, tant qu’il y aura la culture et les moyens de faire ce genre de connaissances, nous serons mieux à même et plus capables de vivre ensemble.

- Dans votre programmation artistique, vous incluez aussi les artistes de la région Midi-Pyrénées et pour cette édition, nous avons eu le plaisir de voir le spectacle d’un trio de guitaristes très connus du public : Serge Lopez, Kiko Ruiz et Bernardo Sandoval. Que souhaitez-vous nous dire à ce sujet ?

- En définitive, il y a les Espagnols de Toulouse et les Espagnols d’Espagne, mais ils ont en commun une âme ibérique. Elle coule dans leurs veines ; c’est ce qui les fait vibrer, écrire, chanter, danser. Certains n’ont pas eu la chance, de par leur histoire, de pouvoir vivre en Espagne. Les 3 artistes que vous avez cités sont des fils de l’exil. Ils vivent leur ibérité à Toulouse mais ils vont très souvent en Espagne. De toutes façons, l’ibérité, la culture gitane, elle est dans leur être, elle est intrinsèque. Qu’ils vivent à Toulouse où à Almeria, elle s’exprime, elle transpire dans leur art, sur scène et dans leur quotidien. Par les Pyrénées, nous avons un lien géographique avec l’Espagne. Eux, c’est aussi le lien humain et l’héritage vivant qui les rattachent à l’Espagne et, cela, il faut le partager. C’était tellement beau hier ! Ils étaient si généreux, si talentueux et très élégants!

- Quelles sont vos impressions sur cette édition? En êtes-vous satisfaite ?

- … En définitive, le rêve s’est réalisé, car tout était au rendez-vous : le talent des artistes, le public et la connivence entre les deux. Dans tous les spectacles, le lien entre le public et les artistes était là. Sur facebook, nous avons beaucoup de témoignages du public et les gens sont de cet avis ; certains ne croyaient pas qu’il pouvait y avoir une telle programmation dans notre région. Donc, une fois de plus, le bilan est on ne peut plus satisfaisant, dans tous les registres. Je sais qu’il restera une trace car au-delà de l’artistique car il s’est passé quelque chose humainement.

- Avez-vous déjà une idée de la programmation de la prochaine édition ? Travaillez-vous longtemps à l’avance entre chaque édition ?

- Un an avant, je travaille. La prochaine biennale aura lieu dans deux ans, mais chaque année, je donne un grand spectacle de Flamenco parce que le public me le demande. Il trouve que ça fait un peu long d’attendre deux saisons culturelles avant de retrouver une programmation Flamenca. Donc, chaque année, au mois de mars, je fais une grande soirée. Cette fois-ci, je souhaiterais travailler pour créer un spectacle qui serait un hommage à Paco de Lucia. Avec qui ? Je ne sais pas encore, mais, assurément, l’année prochaine, il y aura  un spectacle qui sera dédié à sa mémoire, à son travail, à tout ce qu’il a laissé et à tout ce qu’il a transmis.

- Merveilleux projet ! Merci beaucoup Beatrix pour cette magnifique édition et pour le temps que vous nous avez accordé…  à très bientôt !

- Merci beaucoup à vous aussi…

Reportage sur la 10ème Biennale des Musiques Ibériques de Colomiers: Cliquer ici