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Interview de Benjamin Flao réalisée par Isabelle Jacq Gamboena, en juillet 2011,  pour Musique Alhambra

 

 

Dans le cadre de la 23ème édition du Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan, les co-auteurs de la magnifique bande dessinée 'Mauvais garçons' éditée en 2009 chez Futuropolis ont présenté le travail qu'ils avaient réalisé l'année dernière, lors du Festival Arte Flamenco,  alors qu'ils étaient en résidence. Une très belle exposition réunissait des letras por Solea choisies et mises en scène par Christophe Dabitch, et quelques planches originales issues de la BD 'Mauvais garçons', des peintures et dessins du peintre et illustrateur Benjamin Flao,  auteur de la superbe affiche de la 23 ème édition d'Arte Flamenco. Nous avions eu le plaisir de réaliser une interview de Christophe Dabitch que nous avions diffusée sur le site Musique Alhambra et qui nous amenait, bien évidemment, à l'interview de son alter ego, Benjamin Flao, entretien que nous vous restituons, ci-dessous:

- Pourrais-tu nous parler de ton métier de dessinateur et de ton parcours artistique?

- Aujourd'hui et depuis quelque temps, je suis auteur de bandes dessinées, mais cela n'a pas toujours été le cas. Je m'y suis mis sur le tard mais je dessine depuis que je suis tout gamin, sans doute par l'envie de prolonger les jeux d'enfants. Je suis issu d'une famille qui dessine. Mon père est architecte; mon oncle, Gilbert Flao, m'a beaucoup influencé. A l'école, on me disait qu'il fallait faire des métiers normaux pour gagner de l'argent, mais dans ma famille, je voyais qu'il y avait des gens qui faisaient du dessin et qui pouvaient en vivre. Donc, très tôt, je me suis dit que je pourrais faire cela plus tard. J'ai donc essayé de ne faire que dessiner. A 14 ans, je suis parti dans une école de dessin pendant 2 ans. Ensuite, je me suis fait virer, donc je suis allé faire une école de publicité pendant 1 an; cette expérience ne m'a pas plu. Finalement, j'ai compris que ce qui me convenait c'était d'apprendre les métiers de l'illustration et de la bande dessinée; il y avait l' école Emile Colh à Lyon qui était spécialisée dans ce domaine. J'ai fait 2 ans dans cette école. Après quoi, je suis parti gagner ma vie en faisant des caricatures, l'été, pendant une dizaine d'années. Durant l'année, avec un ami avec lequel nous avons fait l'affiche d'Arte Flamenco 2011, nous faisions des affiches, des pochettes de disques, des fresques murales et nous continuions à faire des caricatures de temps en temps. J'ai commencé à voyager à cette période là et j'ai commencé à réaliser des carnets de voyage. En 2000, j'étais invité à une expédition en Sibérie qui avait pour objectif de chercher des Mammouths congelés dans le sol sibérien. ça a été l'occasion de faire mon premier livre intitulé 'Carnet de Sibérie-Mamutus expédition". Suite à cet ouvrage, j'ai fait plusieurs voyages avec, le plus souvent, des livres à la clef. Parmi les livres que j'ai réalisés, il y a eu "Sillage d'Afrique", un voyage qui m'a amené sur la côte Est africaine, en 2003; puis, je suis retourné en Érythrée et j'ai sorti un carnet de voyage éponyme, puis, j'ai commencé à faire de la bande dessinée. J'ai rencontré Christophe Dabitch qui avait fait aussi un carnet de voyage. Je l'ai rencontré à Saint-Malo, au Festival "Etonnants voyageurs". Il m'a fait participer à la revue "La lunette"  qu'il faisait à l'époque et dans laquelle il publiait des reportages dessinés. Puis, j'ai refait des voyages en Afrique de l'Est, entre l'Érythrée, le Kenya et Madagascar. J'ai beaucoup dessiné lors de ce voyage. Suite à cela, j'ai attaqué la bande dessinée avec Christophe Dabitch. Nous avons fait "La ligne de fuite".

- Tu as fait un long parcours avant de te lancer dans la bande dessinée...

- Oui, en fait, pour moi, il était hors de question que je fasse comme beaucoup d'étudiants qui, en sortant de l'école Emile Colh, allaient s'enfermer sur une bande dessinée pendant pas mal de temps. C'est assez monacal comme travail et quand on a 20 ans, on a autre chose à faire, à mon sens. J'avais envie de me promener un peu, d'aller voir ailleurs, prendre l'air et ramener plus tard de quoi faire des livres. Le premier livre que je faisais avec Christophe Dabitch correspondait au moment où je me sédentarisais et m'installais en Bretagne, avec femme et enfant. C'était donc le bon moment. Il y a eu ce premier livre, puis un second, "Mauvais garçons".

- Comment en es-tu arrivé à envisager ce projet de bande dessinée?

- Après la ligne de fuite, j'avais d'autres propositions de livres, mais les scénarios n'étaient pas encore faits. Christophe, lui, venait de finir ce scénario. En fait, ce scénario vient d'une trouvaille avec un de ses amis qui était dans une école de journalisme. C'était Manuel que l'on retrouve dans la bande dessinée. Il était très intéressé par la collecte du patrimoine du Flamenco, entre autre par les Soleas, ces textes courts qui expriment des idées fortes. Cet homme est allé retrouvé sa famille à Utrera et, plus tard, il est devenu danseur de Flamenco. Il a un ami qui s'appelle Benito qui est, lui aussi, dans la bande dessinée. Ces deux personnes essayent de vivre du Flamenco mais ils ont une exigence qui fait qu'ils n'acceptent pas n'importe quoi. Dans la bande dessinée des "Mauvais garçons", je ne connais pas la part de fiction et de réalité. Quand j'ai commencé le travail avec Christophe; l'histoire était déjà faite, et cela correspondait à une période où Christophe avait du mal à écrire car il avait des soucis. Mauvais garçons, c'est aussi une histoire qui parle de la création, des difficultés de la création, des concessions que l'on doit faire pour la création, et cela est transposé sur le Flamenco. Il se trouvait aussi que Manuel avait des histoires de cœur un peu difficiles. Tout cela est dans la bande dessinée. Donc, Christophe a crée une histoire très forte, très belle. Quand je l'ai lue, je me suis même demandé si c'était utile de l'adapter à la BD.  J'ai eu une telle émotion en lisant cette histoire! Elle était tellement bien, écrite ainsi, sans images, que j'ai eu un peu peur de la travestir, de la trahir. Donc, cela a été un peu difficile de réaliser cette bande dessinée. Il fallait que je me réapproprie l'histoire et que je fasse quelque chose avec cela, sans forcément être aller à Utrera et tremper dans cet univers. Donc, j'ai plutôt fantasmé cet univers. Ce que je trouvais intéressant, c'était l'aspect héroïque des personnages dans le Flamenco avec toujours une posture très 'cow boy'. Je trouvais intéressant d'explorer cet univers. Même le scénario relève plus d'un film d'art et essai que d'une histoire romanesque ou d'aventure. Cela relate plutôt un quotidien, une réalité.

- Pourquoi Christophe s'est-il adressé à toi pour réaliser ce projet?

- Il savait que j'aimais cet univers, que j'aimais la musique Tzigane, qu'elle provienne des peuples de l'Est ou de la musique indienne du Rajasthan, ou du Flamenco.

- Comment as-tu fait pour t'approprier cet univers du Flamenco?

- Concrètement, j'ai surtout regardé et lu des livres. J'avais déjà séjourné en Andalousie, mais je n'avais pas été à Utrera. J'estime que cette manière de fantasmer sur une ville, c'est aussi bien. C'est donc ce que j'ai fait. J'avais quelques supports visuels tels que des photos que Christophe avaient prises et qu'il m'avait données. Le scénario était lui-même doté de beaucoup d'éléments forts avec des indications précises sur les lieux, les danses, etc. De plus, j'ai écouté beaucoup de musique et j'ai essayé de me mettre dans la peau des personnages.

- Ta présence au Festival Arte Flamenco a commencée l'année dernière, n'est-ce pas?

- Oui, Christophe et moi étions invités après que les organisateurs du Festival aient découvert notre bande dessinée 'Mauvais garçons'. Ils nous ont proposé une résidence avec une création. Cette année, nous effectuons la deuxième étape de notre résidence. L'objectif était de s'imprégner de tout se qui se passait dans le Festival. Chaque jour, il fallait réaliser une page d'un format raisin contenant des dessins et des textes. Le plus souvent, c'était soit des images de la rue, soit des images de concerts que nous avions vus. Christophe demandait aux artistes des textes à eux, des Soleas que nous faisions traduire le plus souvent par Manuel Pampino. Cette année, nous exposons ces fameux tableaux et des planches originales de 'Mauvais garçons'.

- Tu vas participer aussi à un BD concert, dans le cadre  du Festival. Que souhaiterais-tu nous dire à propos de ce projet?

- En fait, il s'agit plutôt d'un concert dessiné. Pendant qu'un groupe se produit sur scène, je vais essayer de mettre de l'image dessus, de dessiner en direct avec une caméra qui film en direct mes traits et qui projette ensuite l'image sur un grand écran. Cela aura lieu sur la place de l'hôtel de Ville, à la Bodega.

- Est-ce la première fois que tu fais cela?

- Non, c'est un exercice que je fais souvent car, ma compagne et moi avons crée un spectacle dans lequel nous faisons ce genre de choses.

- Qu'est-ce qui t'intéresse dans ce projet et comment vas-tu l'aborder?

- La grande frustration d'un dessinateur c'est de ne pas communiquer avec le public, de ne pas avoir de retour direct sur nos productions. Avoir ce retour, c'est une de mes motivations. A la manière des Haïkus japonais, je vais essayer de développer une calligraphie Flamenco. Ce qui m'intéresse, c'est d'offrir une gestuelle en essayant de mettre la même intensité véritable et sincère, celle qui part du ventre et qui sort par le biais du pinceau. Je vais utiliser beaucoup de techniques car cela me semble justifié. Cela m'intéresse beaucoup d'être dans la même position et la même énergie que les musiciens.

- Etre immergé dans le milieu Flamenco pendant plusieurs jours, qu'est-ce que cela t'apporte, d'un point de vue personnel?

- Justement, dans ce contexte, nous sommes au cœur de cette histoire de sincérité et d'intensité. Je pense que pour les musiciens, les chanteurs et les danseurs, la condition sinéquanone de leur art, c'est cela, c'est d'être possédé par ce qui se passe. Il n'y a pas de place à l'esbroufe et dans mon cas, c'est la même chose. Je ne pensais pas que cet univers allait m'intéresser autant. Je trouve cela très fort d'autant plus que j'avais certains préjugés auparavant et ils se sont dissipés au contact des artistes de ce milieu. Il y a tout un apparat, mais cela fait réellement partie du jeu. Quand on les voit travailler, il y a vraiment quelque chose de fort et de sincère qui se dégage de chacun d'eux et j'essaye de m'inspirer de cela.

- Quel est le thème de ta prochaine BD?

- Cette fois ci, l'histoire se passera en Afrique de l'Est, dans le milieu des marins pêcheurs de là-bas. J'y évoquerai la magie, le vaudou, la mer et les promoteurs immobiliers étrangers. C'est un peu une dénonciation de tout cela...

- Merci Benjamin pour cet entretien passionnant et pour ton merveilleux travail. à bientôt!

- merci à toi...

 

  Voir le reportage sur le Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan 2011