Carmen Linares, une des plus
grandes voix du Flamenco, a illuminé la scène de la Maison des
Arts de Créteil lors du récital qu'elle a donné vendredi 11
février, dans le cadre du Festival 'Sons d'Hiver'. Nous l'avons
retrouvée dans sa loge, après le spectacle; c'est avec une
grande émotion mêlée d'admiration et de profond respect pour
cette immense chanteuse que nous avons réalisé l'interview qui
suit:
-Carmen Linares, nous te remercions
pour le magnifique spectacle 'Verso a verso' que tu as présenté
ce soir, au public parisien. Tu as été grandiose, comme toujours...
la poésie et les letras sont au centre de cette création,
n'est-ce pas?
- Oui, dans ce spectacle intitulé 'Verso a
verso', je témoigne de l'importance des letras populaires
et de son utilisation dans le cante Flamenco
traditionnel; ces letras sont chantées depuis très
longtemps. Dans la première
partie du récital, je chante les letras populaires et,
dans la deuxième, je chante des textes de poètes car la poésie
est inhérente au cante Flamenco... Les textes que j'ai
choisis sont des poèmes d'auteurs espagnols comme Federico Garcia Lorca, Juan
Ramón Jiménez,
Miguel Hernandez...
- Pour chanter les letras populaires ou
les poèmes
d'auteurs, travailles-tu avec les musiciens pour élaborer la
musique et pour déterminer la métrique?
- Quand la métrique du vers est celle des cantes traditionnels,
j'adapte ces vers. Mais, si ce n'est pas le cas, il est
nécessaire de créer une musique spéciale et un travail de composition
s'impose.
Parfois, je le réalise moi-même et parfois, comme aujourd'hui,
c'est Juan Carlos Romero
et Manolo
Sanlucar qui ont composé la musique. Nous avons procédé de
la même manière pour les compositions de mon dernier album 'Raices
y alas', qui est un hommage à Juan Ramón Jiménez.
C'est Juan
Carlos Romero et Manolo Sanlucar qui ont composé la musique. Juan Carlos
est un très grand compositeur. Jai réalisé aussi certaines compositions.
- Tu es née à Linares,
haut lieu du cante Flamenco,
n'est-ce pas?
- Oui, des cantes importants proviennent de cette ville
comme, par exemple, la Taranta de Linares qui appartient au cantes Mineros.
C'est une des Tarantas les plus
importantes.
- Comment t'es-tu formée au cante?
- J'ai appris à chanter en écoutant le chant
car celui-ci se transmet
oralement, avant tout. Je suis partie vivre à Madrid et là, j'ai
rencontré des grands maitres qui chantaient. J'ai eu la chance
de les côtoyer et c'est avec eux que j'ai appris. J'ai beaucoup
appris aussi en écoutant la discographie des anciens. Il y a de
très bonnes archives discographiques dans le flamenco. En fait,
personne ne m'a réellement enseigné le cante; c'est en
l'écoutant et en travaillant avec les grands maestros en
chantant sur scène que j'ai appris.
- Ta voix, tu l'as travaillée pour atteindre cette qualité
vocale ou a-t-elle naturellement cette merveilleuse texture?
- Merci... c'est ma voix naturelle. Personne ne m'a appris à la
travailler. Avec l'expérience et le temps j'ai acquis une
connaissance de ma voix et je sais dorénavant ce que je ne dois
pas faire. J'ai donc appris à en prendre soin...
- As-tu une technique particulière pour entretenir ta voix?
- Pour bien faire, il est nécessaire de travailler
sa voix quotidiennement;
j'essaye de travailler le plus régulièrement possible et, quelques jours avant de monter sur
scène, je chante tous les jours pour préparer ma voix.
- Entre le Flamenco joven et le Flamenco traditionnel,
où est-ce que tu situes ton style de cante?
- Je pense que pour être un artiste Flamenco, il
faut avoir de très bonnes racines. Il faut être aussi à bonne
école. Puis, il est nécessaire de se laisser porter par la vie
et par l'évolution de celle-ci, d' essayer de vivre avec son
temps. On ne peut chanter de la même manière qu'il y a cent ans.
Cela n'a aucun intérêt. Un artiste doit être de son temps et
essayer d'innover, d'apporter des choses personnelles.
- Que souhaiterais- tu nous
dire à propos de ton travail discographique?
- Je suis très fière de l'album "Antología
de la mujer en el cante"
(Anthologie de la femme dans
le chant). J'ai une discographie très variée avec des
collaborations diverses, dont le dernier album 'Raices y alas'
consacré à la poésie de
Juan Ramón Jiménez; c'est un disque très important pour
moi. J'ai chanté les poèmes de Federico Garcia Lorca. J'ai chanté
aussi sur l'Amor Brujo de Manuel de Falla. En
fait, j'ai
réalisé des choses diverses dans ma carrière artistique.
- Tu collabores avec beaucoup
d'artistes Flamencos aussi...
- oui, bien sur...
- La nouvelle de la disparition
d'Enrique Morente, comment l'as tu ressentie?
- Enrique Morente était un grand ami. Je
l'aimais beaucoup, autant sur le plan humain que sur le plan
artistique. C'était un artiste très médiatique et un génie. Nous
regrettons fortement sa disparition. Sans lui, le Flamenco est
devenu orphelin. C'est une perte immense ...
- Tes états d'âmes influent-ils sur ta
manière de chanter?
- Oui, cela influe beaucoup, mais, si j'ai un problème, je dois
le dépasser. En tant que chanteuse, en règle générale, les
pensées qui me traversent
l'esprit influent sur mon travail. La qualité du
groupe qui m'entoure ainsi que le public ont aussi de
l'importance pour me sentir bien connectée et me sentir bien,
tout simplement.
- Quelle est ta relation avec le
public?
- Etant donné que cela fait de nombreuses années que je chante, beaucoup
de monde vient me voir lorsque je me produis sur scène, même
ceux qui ne me connaissent pas encore. Ceux qui viennent me
parler après les concerts disent souvent que je fais un peu partie
de la famille, et je le comprends. En effet, quand on aime un
artiste et quand on suit son travail, on se met au courant de sa
vie. On va l'écouter chanter et cela crée déjà un lien familier
entre l'artiste et l'aficionado.
- L'accompagnement musical change-t-il
ta manière de chanter et de vivre le chant, sur scène?
- Oui, j'accorde beaucoup d'importance aux guitares qui m'accompagnent. En
fait, tous les artistes qui constituent mon groupe et moi-même,
nous formons comme une famille. D'ailleurs, Eduardo Pacheco,
l'un des guitaristes qui m'accompagne, est mon fils. Sur scène,
lorsqu'il y a de l'harmonie entre les membres du groupe, cela se
remarque forcément.
- Quels sont tes projets?
- Je viens de donner la première du spectacle intitulé 'Oasis
abierto' (oasis ouvert), spectacle dans lequel je rends
hommage au grand poète espagnol Miguel Hernandez. Nous avons
commencé la tournée et nous serons à Paris, le 24 septembre
prochain pour présenter cette création au public parisien. Nous
irons aussi en Espagne et dans d'autres ville d'Europe.
- Que penses-tu du fait que le Flamenco
soit devenu patrimoine de l'humanité?
- Cette nouvelle récente m'a beaucoup réjouie car, bien que les
aficionados, les flamencos et moi-même savons déjà que le
Flamenco est une grande musique, cela peut inciter ceux qui ne
s'en sont pas encore aperçu, de porter leur attention sur cet
art.
- Quelle part accordes-tu au
Flamenco, dans ta vie?
- C'est une partie importante de ma vie. C'est mon métier et il
me comble dans tous les domaines. Physiquement aussi, j'ai
besoin de chanter. Chanter, c'est merveilleux...
- Comment définirais-tu ta manière de
vivre?
- Je vis pour mon art, pour le Flamenco. Bien sur, j'ai aussi ma
vie de famille et il y a beaucoup de choses qui m'intéressent,
mais le Flamenco tient une place prépondérante. Il
m'a tellement donné que j'essaye, à mon tour, de lui donner le
meilleur de moi-même, avec toute l'honnêteté possible et en
essayant de hisser cet art au plus haut.
- Quel est ton objectif en tant que
cantaora?
- Mon objectif personnel est de continuer à émouvoir les gens,
au travers de mon chant. Je souhaite qu'ils continuent à aimer mon
travail, ma profession. Je veux aussi continuer à apprendre et
surtout à émouvoir le public, à remplir l'âme des gens avec le chant
et la musique flamencas, quand je suis sur scène et que je
chante pour eux, car, à mon avis, il n'y a pas de plus grandes
musiques que le Flamenco... en fait, il me semble que tout artiste a l' objectif d'émouvoir le public. S'il n'y a pas d'émotions dans
l'art, celui-ci n'apporte rien.
- Carmen, tu atteins
largement ton objectif... merci pour cet entretien et
pour ton immense talent! à très bientôt...
Visiter le site web de Carmen Linares:
http://www.carmenlinares.org
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Remerciements à toute l'équipe du Festival
Sons d'Hiver et plus particulièrement à Axel Matignon |