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Interview de Carmen Linares réalisée par Isabelle Jacq 'Gamboena', en février 2011,  pour Musique Alhambra

 

 

Carmen Linares, une des plus grandes voix du Flamenco, a illuminé la scène de la Maison des Arts de Créteil lors du récital qu'elle a donné vendredi 11 février, dans le cadre du Festival 'Sons d'Hiver'. Nous l'avons retrouvée dans sa loge, après le spectacle; c'est avec une grande émotion mêlée d'admiration et de profond respect pour cette immense chanteuse que nous avons réalisé l'interview qui suit:

 

-Carmen Linares, nous te remercions pour le magnifique spectacle 'Verso a verso' que tu as présenté ce soir, au public parisien. Tu as été grandiose, comme toujours... la poésie et les letras sont au centre de cette création, n'est-ce pas?

- Oui, dans ce spectacle intitulé 'Verso a verso', je témoigne de l'importance des letras populaires et de son utilisation dans le cante Flamenco traditionnel; ces letras sont chantées depuis très longtemps. Dans la première partie du récital, je chante les letras populaires et, dans la deuxième, je chante des textes de poètes car la poésie est inhérente au cante Flamenco... Les textes que j'ai choisis sont des poèmes d'auteurs espagnols comme Federico Garcia Lorca, Juan Ramón Jiménez, Miguel Hernandez...

- Pour chanter les letras populaires ou les poèmes d'auteurs, travailles-tu avec les musiciens pour élaborer la musique et pour déterminer la métrique?

- Quand la métrique du vers est celle des cantes traditionnels, j'adapte ces vers. Mais, si ce n'est pas le cas, il est nécessaire de créer une musique spéciale et  un travail de composition s'impose. Parfois, je le réalise moi-même et parfois, comme aujourd'hui, c'est Juan Carlos Romero et Manolo Sanlucar qui ont composé la musique. Nous avons procédé de la même manière pour les compositions de mon dernier album 'Raices y alas', qui est un hommage à Juan Ramón Jiménez. C'est Juan Carlos Romero et Manolo Sanlucar  qui ont composé la musique. Juan Carlos est un très grand compositeur. Jai  réalisé aussi certaines compositions.

- Tu es née à Linares,  haut lieu du cante Flamenco, n'est-ce pas?

- Oui, des cantes importants proviennent  de cette ville comme, par exemple,  la Taranta de Linares qui appartient au cantes Mineros. C'est une des Tarantas les plus importantes.

- Comment t'es-tu formée au cante?

- J'ai appris à chanter en écoutant le chant car celui-ci se transmet oralement, avant tout. Je suis partie vivre à Madrid et là, j'ai rencontré des grands maitres qui chantaient. J'ai eu la chance de les côtoyer et c'est avec eux que j'ai appris. J'ai beaucoup appris aussi en écoutant la discographie des anciens. Il y a de très bonnes archives discographiques dans le flamenco. En fait, personne ne m'a réellement enseigné le cante; c'est en l'écoutant et en travaillant avec les grands maestros en chantant sur scène que j'ai appris.

- Ta voix, tu l'as travaillée pour atteindre cette qualité vocale ou a-t-elle naturellement cette merveilleuse texture?

- Merci... c'est ma voix naturelle. Personne ne m'a appris à la travailler. Avec l'expérience et le temps j'ai acquis une connaissance de ma voix et je sais dorénavant ce que je ne dois pas faire. J'ai donc appris à en prendre soin...

- As-tu une technique particulière pour entretenir ta voix?

- Pour bien faire, il est nécessaire de travailler sa voix quotidiennement; j'essaye de travailler le plus régulièrement possible et, quelques jours avant de monter sur scène, je chante tous les jours pour préparer ma voix.

- Entre le Flamenco joven et le Flamenco traditionnel, où est-ce que tu situes ton style de cante?

- Je pense que pour être un artiste Flamenco, il faut avoir de très bonnes racines. Il faut être aussi à bonne école. Puis, il est nécessaire de se laisser porter par la vie et par l'évolution de celle-ci, d' essayer de vivre avec son temps. On ne peut chanter de la même manière qu'il y a cent ans. Cela n'a aucun intérêt. Un artiste doit être de son temps et essayer d'innover, d'apporter des choses personnelles.

- Que souhaiterais- tu nous dire à propos de ton travail discographique?

- Je suis très fière de l'album "Antología de la mujer en el cante" (Anthologie de la femme dans le chant). J'ai une discographie très variée avec des collaborations diverses, dont le dernier album 'Raices y alas' consacré à la poésie de Juan Ramón Jiménez; c'est un disque très important pour moi. J'ai chanté les poèmes de Federico Garcia Lorca. J'ai chanté aussi sur l'Amor Brujo de Manuel de Falla. En fait, j'ai réalisé des choses diverses dans ma carrière artistique.

- Tu collabores avec beaucoup d'artistes Flamencos aussi...

- oui, bien sur...

- La nouvelle de la disparition d'Enrique Morente, comment l'as tu ressentie?

- Enrique Morente était un grand ami. Je l'aimais beaucoup, autant sur le plan humain que sur le plan artistique. C'était un artiste très médiatique et un génie. Nous  regrettons fortement sa disparition. Sans lui, le Flamenco est devenu orphelin. C'est une perte immense ...

- Tes états d'âmes influent-ils sur ta manière de chanter?

- Oui, cela influe beaucoup, mais, si j'ai un problème, je dois le dépasser. En tant que chanteuse, en règle générale, les pensées qui me traversent l'esprit influent sur mon travail. La qualité du groupe qui m'entoure ainsi que le public ont aussi de l'importance pour me sentir bien connectée et me sentir bien, tout simplement.

- Quelle est ta relation avec le public?

- Etant donné que cela fait de nombreuses années que je chante, beaucoup de monde vient me voir lorsque je me produis sur scène, même ceux qui ne me connaissent pas encore. Ceux qui viennent me parler après les concerts disent souvent que je fais un peu partie de la famille, et je le comprends. En effet, quand on aime un artiste et quand on suit son travail, on se met au courant de sa vie. On va l'écouter chanter et cela crée déjà un lien familier entre l'artiste et l'aficionado.

- L'accompagnement musical change-t-il ta manière de chanter et de vivre le chant, sur scène?

- Oui, j'accorde beaucoup d'importance aux guitares qui m'accompagnent. En fait, tous les artistes qui constituent mon groupe et moi-même, nous formons comme une famille. D'ailleurs, Eduardo Pacheco, l'un des guitaristes qui m'accompagne, est mon fils. Sur scène, lorsqu'il y a de l'harmonie entre les membres du groupe, cela se remarque forcément.

- Quels sont tes projets?

- Je viens de donner la première du spectacle intitulé 'Oasis abierto' (oasis ouvert), spectacle dans lequel je rends hommage au grand poète espagnol Miguel Hernandez. Nous avons commencé la tournée et nous serons à Paris, le 24 septembre prochain pour présenter cette création au public parisien. Nous irons aussi en Espagne et dans d'autres ville d'Europe.

- Que penses-tu du fait que le Flamenco soit devenu patrimoine de l'humanité?

- Cette nouvelle récente m'a beaucoup réjouie car, bien que les aficionados, les flamencos et moi-même savons déjà que le Flamenco est une grande musique, cela peut inciter ceux qui ne s'en sont pas encore aperçu, de porter leur attention sur cet art.

- Quelle part accordes-tu au Flamenco, dans ta vie?

- C'est une partie importante de ma vie. C'est mon métier et il me comble dans tous les domaines. Physiquement aussi, j'ai besoin de chanter. Chanter, c'est merveilleux...

- Comment définirais-tu ta manière de vivre?

- Je vis pour mon art, pour le Flamenco. Bien sur, j'ai aussi ma vie de famille et il y a beaucoup de choses qui m'intéressent, mais le Flamenco tient une place prépondérante. Il m'a tellement donné que j'essaye, à mon tour, de lui donner le meilleur de moi-même, avec toute l'honnêteté possible et en essayant de hisser cet art au plus haut.

- Quel est ton objectif en tant que cantaora?

- Mon objectif personnel est de continuer à émouvoir les gens, au travers de mon chant. Je souhaite qu'ils continuent à aimer mon travail, ma profession. Je veux aussi continuer à apprendre et surtout à émouvoir le public, à remplir l'âme des gens avec le chant et la musique flamencas, quand je suis sur scène et que je chante pour eux, car, à mon avis, il n'y a pas de plus grandes musiques que le Flamenco... en fait,  il me semble que tout artiste a l' objectif d'émouvoir le public. S'il n'y a pas d'émotions dans l'art, celui-ci n'apporte rien.

- Carmen, tu atteins largement ton objectif... merci pour cet entretien et pour ton immense talent! à très bientôt...

 

Visiter le site web de Carmen Linares: http://www.carmenlinares.org

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Remerciements à toute l'équipe du Festival Sons d'Hiver et plus particulièrement à Axel Matignon