- Cristina Hall, Nous sommes très heureux de te voir
à Paris et de savoir que tu donnes un stage de Flamenco à
l’Académie de Flamenco d’Anita Losada. Quel est ton lien avec
Paris ?
- C’est la première fois que je donne des stages
à Paris, mais ce n’est pas la première fois que je viens à
Paris. J’y suis venue il y a longtemps, même avant de danser le
Flamenco! J’ai passé des vacances dans cette ville, vers l’âge
de 15 ans. Mon premier spectacle à Paris, c’était à Planète Andalucia avec Manuel Gutierrez, puis avec la compagnie Yann Lheureux .
- Tu es née et tu as vécu aux
Etats Unis. C’est aussi là bas que tu as commencé à danser le
Flamenco. Peux-tu nous parler de tes débuts ?
- Je suis née à San Francisco, en Californie.
Avant de me lancer dans la danse, j’étais musicienne ; je vouais
du violon ; cela me plaisait, mais ce n’était pas ma passion. A
l’adolescence, c’était le moment de chercher ma voie et de m’y
engager. J’étais assez désespérée car je me cherchais sans me
trouver. Un soir, j’ai eu soudain une révélation : je
devais danser le Flamenco ! J’ai regardé les pages jaunes pour trouver un professeur de Flamenco pour prendre des
cours et j'ai commencé à me former.
- Ensuite, tu es partie à
Séville pour continuer ta formation, n’est-ce pas ?
- Oui, une fois arrivée à Séville, le fait que je
devais rester en Espagne pour devenir une danseuse
professionnelle et donner des cours, c'était une évidence pour moi . Je suis partie
d’abord à Madrid quand j’avais 18 ou 19
ans. Ce que j’ai trouvé à Madrid, ce n’est pas ce que je
cherchais. Je suis donc partie à Séville et maintenant, cela
fait 15 ans que je réside dans cette ville.
- Quels sont les maitres que tu
as eu, à Séville ?
- En fait, déjà quand j’étais
à San Francisco, il y avait une femme danseuse qui s’appelait La
Tania. Elle fit un spectacle dans lequel Andrés Marin participa.
Quand je l’ai vu danser, j’ai compris que je devais apprendre à
danser avec lui. Le lendemain, j’ai fait un stage qu’il
organisait, tout en sachant que cela serait difficile pour moi.
Pendant le stage, j’ai vraiment ressenti à quel point cela
m’apportait beaucoup. Andrés Marin venait souvent à San
Francisco par le biais de La Tania. Donc cela faisait une année
que je dansais et, pendant le stage, il me demandait plusieurs
fois de danser seule. L’année suivante, il est revenu ; j’avais
déjà un meilleur niveau. Andrés me demandais encore de danser
seule, face aux autres. Je pense qu’il a vu quelque chose en
moi. Lorsque je suis allée à Séville, j’ai pris des
cours avec Israel Galván et presque tous les professeurs de
cette ville. Andrés
Marin, Israel Galván et Manuela Rios sont les danseurs qui ont eu un réel impact sur moi.
- Je t’ai vu danser sur une
Guajira; tu maniais l’éventail avec beaucoup de finesse. Quelle
importance accordes-tu aux accessoires, quand tu danses ?
- J’apprécie tous les accessoires, mais tout
dépend du contexte. J’essaye d’amener un sens au fait que
j’utilise tel ou tel accessoire. Par
exemple, si j’utilise l’éventail, ce n’est pas seulement pour me
donner un peu d’air, mais je l’utilise par exemple comme
instrument de percussions, ou comme les aiguilles d’une montre,
etc. Il n’y a pas un accessoire particulier pour lequel je
pourrais te dire qu’il me plait beaucoup. Ils me plaisent tous
d’une manière égale et avec chacun d’eux, j’essaye de raconter
ma propre histoire.
- Ta manière de danser le
Flamenco est très personnelle, novatrice. Quelle est la raison
qui t’a poussé à danser ? D’où vient ton style, est-ce quelque
chose qui t’est venu spontanément, ou est- ce le fruit d’une
recherche?
- Je danse pour me rencontrer; cela a toujours
été très clair dans mon esprit, dès le début. Il y a beaucoup
d’étrangers qui viennent en Espagne et qui veulent devenir
Espagnols. Moi, je sais que si je danse, c’est pour aller à la
rencontre de moi-même. C’est ma manière de me
rencontrer et c’est une recherche quotidienne : vivre des choses
et ensuite les transformer dans mon langage qui, dans mon cas,
est le Flamenco. Beaucoup d’heures pour
chercher à comprendre comment ton corps parle, et non chercher à
imiter le langage d’une autre personne.
-
Comment
procèdes-tu pour te chercher et pour te rencontrer au travers de
la danse ? as-tu une méthode particulière ? dois-tu t’éloigner
d’une partie de ton apprentissage, de tes maestros ?
- Oui, je dois m’éloigner d’un peu de tout ; les
voir de loin mais ne pas les imiter. Voici un exemple : j’ai
crée une pièce qui se nomme « Catharsis », et j’ai trouvé une
musique qui n’a rien à voir avec le
Flamenco, mais moi, quand j’ai écouté cette musique, j’ai vu une
danse. J’ai donc mis la musique et j’ai laissé mon corps parler
au travers de cette musique. Je ne cherchais pas une esthétique
parfaite, mais je me laissais plutôt porter par la musique. Quand
je vis des choses, ces choses m’habitent. Je me mets donc dans
un studio et, à partir d’une sensation qui vient, le geste
arrive aussi et exprime ce que je veux raconter. Le mental ne
travaille pas, mais il y a beaucoup d’heures de travail pour
parvenir à cela.
- Quelle est la part
d’influence que la tradition du Flamenco exerce sur toi ?
- Pour moi, la
tradition du Flamenco, c'est très important! Quand j’ai
commencé, j’écoutais Juanito Valderrama, Pepe Marchena. Avant de
connaitre Camaron, j’écoutais la Niña de Los Peines. Je
m’enfermais dans ma chambre et j’écoutais pendant
des heures car je savais que c’était la base de tout. Je
regardais aussi les vidéos de La Chana, de Mario Maya, d’Antonio
Gades. Par exemple, si je dois danser une Farruca, je
regarde la danse d’Antonio Gades car, pour moi, c’est le numéro
1 dans ce palo.
- Pour une danseuse qui n’a
pas d’origines andalouses comme c’est ton cas, a-t-il été
difficile pour toi de t’intégrer dans milieu du Flamenco et d'y
faire ta place, à Séville ?
- Cette position engendrait parfois un sentiment
de solitude. Cette impression de venir d’ailleurs, d’être
différente, m’éloignait des autres. Au départ, cela a été
difficile, mais maintenant, je me réjouis de cette situation car
j’ai ma propre histoire. Ainsi je peux apporter ce que j’ai
vécu, ce que je connais ; ma mentalité est différente… et tant
mieux ! Maintenant, ma différence est une force.
- Y a t-il une collaboration
artistique dont tu souhaiterais nous parler?
- Ma collaboration avec Yann Lheureux est
importante, d’autant plus que Yann provient du milieu de
la danse contemporaine et auparavant, du Hip Hop. Il a décidé de
travailler avec moi et j’ai appris
beaucoup à ses cotés.
- Comment avez-vous travaillé
ensemble ?
- au début j’ai bien précisé à Yann que je ne
fais pas de danse contemporaine, et il a voulu quand même que
l’on travaille ensemble. Avec lui, j’ai travaillé sans miroir,
et cela a changé ma façon de travailler, cela m’a
aidé à chercher autre chose que l’esthétique du mouvement.
Plutôt que de me demander de mettre mes bras ici ou là, Yann
me mettait en situation. Même si nous étions dans la création
d’un spectacle, nous improvisions beaucoup. Au travers de
l’improvisation, mon corps m’amenait dans des recoins que mon
mental ne m’aurait pas permis d’atteindre. Yann me disait « le
corps est plus rapide que le mental, ne pense pas ! », et cela a
beaucoup changé ma façon de danser et de créer.
- Ensemble vous avez réalisé une
création nommée « Cristina », en 2015, n’est-ce pas ?
- Cette création est une idée de Yann. Il voulait
créer un spectacle pour trois femmes ; cette création
se nomme en réalité « The rare birds ». Elle rassemble une
danseuse contemporaine d’origine cubaine, une autre danseuse qui
est de Paris et qui provient du hip hop contemporain, et moi, en
tant que danseuse Flamenca. Lorsqu’il a décidé
de m’engager, nous avons d’abord beaucoup parlé ensemble. Je lui
ai raconté un peu mon histoire, ce que j’ai vécu à Séville, les
moments difficiles aussi, en tant qu’étrangère. Je lui ai
expliqué aussi mon combat intérieur entre la tradition Flamenca
et la vision plus contemporaine de la danse, avec mon point de vue
« d’étrangère ». C’était très intéressant de travailler dans
cette création, car je racontais ma propre histoire aussi dans
la danse.
- As-tu d’autres projets de
spectacles ?
- Il y a un an, j’ai crée un autre spectacle "Translúcido"
que nous avons présenté au Festival de Düsseldorf,
avec Ana Perez et Carlos Carbonnel. Maintenant, j’aimerais
réaliser une nouvelle création.
- Comment définirais tu ton
lien avec le
Flamenco ?
- Le Flamenco, pour moi, c’est là où je me sens
libre. Il peut tout raconter. Quand je danse sur la scène, je
sens que c’est le moment pour moi de raconter ma vérité. Mais,
pour raconter sa propre histoire, il faut se connaitre d’abord
en profondeur, et savoir en quoi le Flamenco nous parle, puis
nous situer par rapport à cela. C’est un art qui est rempli
d’émotions, de vie, des peines les plus grandes, des joies les
plus intenses. Il est si riche ! Le chant, c’est ce qui me
bouleverse le plus. Quand j’écoute Pepe Marchena ou Manolo
Caracol, des larmes coulent du plus profond de moi, mais je ne
peux vraiment t’expliquer pourquoi.
-
Quels conseils donnerais-tu aux danseurs qui souhaitent évoluer
dans cet art ?
- Je n’aime pas particulièrement donner des
conseils, car je ne crois pas en eux... mais je peux dire que,
dans mon cas, la constance et le travail sont les maitres mots.
C’est un métier très difficile mais très gratifiant, surtout
d’un point de vue personnel. Pour avancer, il faut se connaitre,
ne pas chercher à imiter les autres, être fidèle à soit même,
beaucoup écouter les anciens, ceux qui ont crée des écoles… mais
la qualité importante c'est la constance.
- Comment perçois-tu le
Flamenco actuel et son évolution?
- Le niveau a beaucoup évolué, et la technique ne
cesse de se compliquer, mais il y a peu de gens qui m’émeuvent.
Les artistes cherchent à tout compliquer, alors que, pourtant,
je crois que la force réside dans la simplicité c’est du moins
ce que j’ai appris. J’ai remarqué aussi qu’il y a une peur de
l’évolution dans le Flamenco d’aujourd’hui. Avant, il n’y avait
pas cette peur ; certaines vidéos anciennes sont parfois plus
modernes que ce que l’on voit aujourd’hui ! Dans beaucoup de
danses, actuellement, j’ai remarqué que c’est comme si l’on
voulait revenir en arrière, maintenir une esthétique qui n’a
plus rien à voir avec notre monde réel. Que chacun fasse ce
qu’il veut, mais, selon ma vision des choses, je crois que notre
nature d’être humain est d’évoluer et il ne faut avoir peur de
rien, le Flamenco ne va pas disparaitre, il est déjà si ancien !
Photos du stage de Cristina Hall, en février
2017, à l'Académie de Flamenco, à Paris:
Visiter le site web de Cristina Hall:
www.cristinahallflamenco.com
Remerciements à Anita Losada de l'Académie de
Flamenco, à Paris:
Cliquer ici pour visiter le site de l'Académie
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