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Interview de Isaac Pérez Garcia "Juan Sacré Coeur"

réalisée par Isabelle Jacq Gamboena

 à Paris, en mars 2017

 

Isaac Pérez Garcia "Juan Sacré Coeur" a grandi dans le quartier du Sacromonte, à Grenade. Après s'être formé dans les meilleures écoles de baile Flamenco, cet artiste de Flamenco a une belle carrière artistique à son actif. Désormais installé à Paris, ce danseur, chanteur et chorégraphe reconnu met sa sensibilité et sa technique au service de tous les amoureux du Flamenco, débutants comme confirmés. Depuis  l'interview que nous avons réalisée début mars 2017, de nouvelles informations nous ont été communiquées concernant l'enseignement d' Isaac Pérez Garcia à l'Académie de Flamenco, à Paris. En effet, Isaac y dispense désormais des cours réguliers de "Trilla con Baston"  les mardis soir, de 19h à 20h 30.  De plus, des nouveaux stages de Flamenco y sont programmés avec le Maestro: stage de cante por Alegrias, et un stage de palmas, le 1er avril 2017! que du bonheur en perspective!

- Isaac Juan Sacré Cœur, en tant qu’artiste Flamenco, tu as plusieurs cordes à ton arc : tu es chanteur, palmero et danseur, n’est pas ?

- En fait, je suis principalement danseur de Flamenco. C’est mon métier. Je suis chanteur professionnel aussi car j'ai toujours eu une très bonne oreille; donc, au travers de la danse, j’ai commencé à chanter et j’ai pu travailler ces deux facettes du Flamenco, d’une manière professionnelle.

- Tu viens de Grenade, ville située dans le triangle d’or du Flamenco. Pourrais-tu nous parler de  la manière dont tu as vécu le Flamenco, là bas? 

      - Je suis né en Allemagne, car ma mère était émigrante, et à l’âge d’un an, je suis venu à Grenade, comme c’est le cas d’ Eva la Yerbabuena qui est née en Allemagne et qui ensuite a grandi à Grenade. Je suis resté à Grenade une bonne partie de ma vie. Mes premières connaissances dans le Flamenco, je les ai acquises au contact de ma famille. Ma grand-mère chantait mais elle n’était pas professionnelle. En Andalousie, le Flamenco se vit très intensément car nous sommes habitués à beaucoup l’écouter. A 9 ans, je suis rentré au Collège, situé dans  le quartier de l’Albaicin, à Grenade. Quand j’allais à l' école, je passais par les grottes et je voyais les gitanes et les gitans danser et jouer de la guitare. Cela a éveillé en moi l’envie d'apprendre le Flamenco. Un peu plus tard, je me suis entré dans las Cuevas del Sacromonte (grottes du Sacromonte), où j’ai commencé à danser.  

- Quels ont été tes professeurs ?

- J’ai commencé avec India Pressy, qui n’est plus de ce monde. C’était une très bonne pédagogue. Puis j’ai fait du classique espagnol avec Maite Galan et j’ai fréquenté le Conservatoire de danse de Grenade. Puis, je me suis dédié au Flamenco pur avec La Mariquilla. C’est à ce moment là que j’ai commencé à envisager une carrière artistique d’une manière sérieuse. J’avais beaucoup de facilités pour danser. Après quatre années de danse Flamenco, j’obtenais mon premier contrat professionnel. Quand j’ai terminé mes études à Grenade, je suis allé directement à Madrid, où j’ai approfondi mes connaissances à l’Ecole Amor de Dios. J’ai pris des cours avec plusieurs professeurs. En effet, l’école de notre génération regroupait les danseurs et pédagogues Antonio Canales, Manolete, Antonio Gades, El Guito, Maria Magdalena. Tous ces anciens d’Amor de Dios, cela a été mon école. Dès ma deuxième année à Madrid, j’avais signé mon premier contrat professionnel. Je suis allé aussi à Séville.

 - Quelles sont les caractéristiques principales du baile Flamenco de Grenade ?

-   Les caractéristiques principales du baile Flamenco à Grenade, c'est l'importance accordée à la technique des pieds. Si quelqu’un veut maitriser les pieds, dans la danse, c’est à Grenade qu’il faut aller. Jerez et Séville c’est pour les braceos, Madrid, pour la technique. A Grenade, il y a l’Ecole de la Mariquilla qui travaille surtout la technique des pieds. Il y a aussi Manolete, l’Ecole de Mario Maya. L’Ecole de Grenade est donc spécialisée dans le travail des pieds, car on a beaucoup travaillé dans les grottes du Sacromonte où il n’y avait pas de bois. Donc tout tournait autour du compas, des pieds et de la force. Une fois que tu as acquis cette technique, il faut sortir de Grenade et aller dans d’autres écoles d’Andalousie. L’Ecole de Cordoue pour travailler les bras, à Séville pour approfondir l’aspect majestueux des braceos, un peu à Madrid pour la technique pure du positionnement du corps et du classique espagnol qui est important aussi. On peut distinguer deux mondes dans le Flamenco : celui des Flamencos purs, de ceux qui n’acceptent pas le fait que d’autres sortes de techniques  puissent fusionner avec le Flamenco. Ils ne sont pas non plus d’accord de pratiquer la danse classique espagnole, car ils considèrent qu’elle est inutile. L'autre monde, c'est celui des Flamencos qui pensent que le ballet classique espagnol est une bonne préparation pour pratiquer le Flamenco et que cela permet de trouver un meilleur placement du corps, dans la danse. 

   - Tu as voyagé aussi hors de l’Espagne, durant ta carrière artistique, n'est-ce pas?

   - Oui, j’ai beaucoup voyagé. A partir de 18 ans, j’ai commencé un premier contrat au Portugal, puis je suis allé aux Canaries, pendant 9 ans, avec mon propre Ballet. Puis nous avons voyagé un peu partout dans le monde, en Inde, à Athènes, Istanbul, Portugal, Londres pendant 2 ans, 1 an à Paris en 2010. Nous nous sommes produits surtout en Europe, avec ma compagnie que j’avais constituée aux Canaries. Après les Canaries, je suis revenu à Grenade et j’ai travaillé dans cette ville. Par la suite, j’ai du faire une pause dans ma carrière artistique pour m’occuper de ma mère qui est âgée. Puis, en 2008, un de mes amis le chorégraphe Rafael Amargo, me sollicite professionnellement. Rafael provient, comme moi, du village Fuente Vaqueros d’où provient aussi Federico Garcia Lorca. Rafael m’engage dans la comédie musicale "Zorro", à Londres. Puis, avec cette comédie musicale, nous nous produisons à Paris, au théâtre des Folies Bergères. Nous y restons pendant un an et demi. La même productrice m’engage pour la tournée de  "Zorro" en Hollande. Du fait que je chante et que je danse, ce double profil intéresse les producteurs.  Puis, nous faisons Amsterdam avec ce même spectacle. A partir de 2012, je fais une pause pendant 2 ans,  car ma mère tombe malade et m’occupe d’elle. Par la suite, comme je connais du monde à Paris, je prends la décision de venir dans cette ville pour reprendre ma carrière artistique. C’est pour cela que je suis ici, maintenant.

- Tout à l’heure, du distinguais deux principaux courants dans l’enseignement du Flamenco. Quel est ton positionnement par rapport à ces deux écoles ?

- Je suis issu du Flamenco puro mais j’ai aussi des bases de classique espagnol. J’aime beaucoup le Flamenco pur et les palos du Flamenco mais je n’apprécie pas le Flamenco pur sans les bases classiques. A mes élèves, je leur apprends d’abord à placer le corps, à ressentir où se trouve le poids du corps à un moment ou à un autre, qu’ils soient à l’écoute des sensations de leur propre corps. Après cela, nous commençons à travailler.

 - Tu a donné un stage de compas et de chant, le 4 mars, à l’Académie de Flamenco à Paris. Quel était ton programme de travail ?

- Nous avons fait un premier stage de palmas de compas, de rythme por Tangos. Nous avons d’abord vu les bases du compas.  Lors du premier stage, nous avons intégré le chant dans les bases du compas, pour que les élèves puissent faire la liaison entre le chant et le compas. Lors du deuxième stage de chant, nous avons travaillé le chant au rythme du Tientos. C’est un palo Flamenco très ancien qui ressemble au Tangos avec un rythme de 4 fois 4, mais en plus lent. On a terminé por Tangos. On est passé d’un chant lent du Tientos à un chant plus rapide du Tangos.

- Anita Losada nous a appris que vous vous connaissiez il y a très longtemps et que vous vous êtes retrouvés récemment...

- Oui, ce sont des retrouvailles auxquelles je ne m’attendais pas du tout ! Je viens de Fuente Vaqueros, le village de Federico Garcia Lorca. Le père d’Anita Losada qui s’appelle Jaime Losada, dirige avec Alicia Hermida l'École d'Art Dramatique de Madrid "La Barraca", Escuela Alicia Hermida, située calle de las Margaritas. Quand Franco est mort, il y a eu un boom culturel à tous les niveaux. C'est alors que tous les artistes qui avaient été mis dans l’ombre lors du régime de Franco trouvent enfin une juste notoriété. A partir de cette période, le poète Federico Garcia Lorca est  érigé comme symbole de liberté en Espagne. Federico Garcia Lorca crée La Barraca, un théâtre itinérant qu'il fait voyager dans toute l’Espagne. A l' assassinat du poète, le théâtre de La Barraca s' interrompt.  C’est Jaime Losada qui réactive la Barraca.  En reprenant le nom et le concept de ce théâtre itinérant, Jaime Losada a prolongé la vie du théâtre de La Barraca, aux cotés d’Alicia Hermida, une actrice et une grande dame du théâtre et de l’interprétation.  Ils présentent La Barraca à Fuente Vaqueros, le village de Federico Garcia Lorca. C’est là que je rencontre Jaime Losada. Je prends des cours de théâtre avec lui, à Fuente Vaqueros. Puis, nous allons à Aranjuez où nous interprétons les pièces que Federico García Lorca a écrites pour des marionnettes humaines comme « El Retablio de Don Cristóbal » ou « Don Cristobal et Doña Rosita ». Mais le destin est incroyable. Alors que plusieurs années se sont écoulées depuis cette période et que je poursuis ma carrière artistique,   je viens à Paris. Je commence à prendre contact avec le monde du Flamenco, avec mes élèves. Puis, par le biais  d'Hélène, une amie commune, je "rencontre" Anita Losada. Cela fait un an qu’on se connait, mais cela fait seulement quelques jours que j’ai réalisé que Jaime Losada est son père. Quand j’avais vu Anita, en Espagne, elle avait 13 ans. Elle dansait dans la compagnie de son père. Je me souviens d’elle, mais le temps a passé. J’ai 52 ans, et je n’ai pas suivi l’évolution des choses concernant La Barraca. Quand nous avons réalisé le lien qui existe entre nous, cela a été  comme une révélation !

 - Anita Losada va partir dans le sud, dans quelques mois. Elle t’a proposé de reprendre les cours dans son Académie de Flamenco. Il me semble que tu as accepté. Parles-nous de ce projet, si tu veux bien. Quel est ton sentiment à l’idée de prendre la relève, en tant que pédagogue, à l’Académie de Flamenco, à Paris ?

- J’en suis très heureux. Cette année a été difficile pour moi car il a fallut que je redémarre une nouvelle vie, à Paris, que j’apprenne la langue française. Mais, maintenant, je m’aperçois que tous les efforts que j’ai produits durant cette année commencent à porter leurs fruits. Pour moi, c’est comme un cadeau de Dieu! Faire un projet avec Anita Losada et porter ce projet avec elle, c’est une vraie joie !

  - Comment envisages tu l’enseignement que tu vas dispenser dans ce lieu ?

 - Du fait que je suis acteur aussi, ma manière de travailler le Flamenco est  interprétative. Tout d’abord, nous allons terminer de travailler les chorégraphies d’Anita Losada puis nous passerons à un travail complet sur les bases du Flamenco : le compas, la technique du corps, et nous danserons. Je donnerai des clefs pour que chaque élève se sente libre. Je fais un peu le contraire de ce qui se fait habituellement. Normalement, on commence à apprendre une chorégraphie et on laisse chacun sentir la danse et le chant. Moi, je dénoue d'abord les crispations pour que tout le monde se sente à l’aise et ne ressente pas de pression. J’observe le langage corporel et je ressens les endroits où il y a des nœuds. Sans rien dire, je dénoue tout cela. Je travaille avec l’impulsion du cœur. C’est un dialogue de cœur à cœur, un apprentissage du ressenti et de l’écoute. C’est pour cela que je m’appelle Juan Sacré Cœur, car, je travaille avec le cœur, avant tout! Quand le corps est à l’aise  et qu’il se laisse porter,  c’est à ce moment là qu’on travaille la technique, le corps avec le chant et les chorégraphies.

 - En parallèle de l’enseignement, poursuis-tu ta carrière artistique ? as-tu encore ta propre compagnie ?

- Comme cela fait un an que je réside à Paris, j’ai d’abord pris le temps de découvrir le monde du Flamenco dans cette ville. Le 17 septembre dernier, au Théâtre du Duende à Ivry sur Seine, j’ai présenté « Je suis », une création dans laquelle je raconte ma propre histoire. Tout le monde me demandait pourquoi je m’appelle Isaac Juan Sacré Cœur. En fait, à l’intérieur de ce nom, il y a une jolie histoire.

 - Pourrais-tu nous raconter un peu ton histoire et ta manière de la présenter, dans ce spectacle?

 - Dans ce spectacle, je raconte la raison pour laquelle je m’appelle Juan Sacré Cœur. J’interprète un personnage qui n’est pas tout à fait moi mais qui me ressemble beaucoup.

     L’histoire, c’est qu’après le Zorro de 2010, j’ai eu une lésion dans le genou et j’ai du subir une opération dans l’un des meilleurs centres hospitaliers. J’avais perdu 50% de la mobilité du genou. Malgré la qualité de l’intervention chirurgicale, on ne me garantissait pas de retrouver la mobilité de mon genou, à 100%, pour pouvoir danser. Après avoir vu le docteur à Grenade qui m’apprend cette mauvaise nouvelle, je viens à Paris, et, chaque jour, je vais à pied depuis la station Jules Jofrin  jusqu’au Sacré Cœur, pendant deux mois. Je me sentais tellement bien, là bas, que j’y allais tous les jours. Un jour, alors que j’étais dans cette église du Sacré Cœur, je me suis adressé à Dieu, en silence, et je lui ai dit « ma jambe est malade, je ne pourrai plus danser. J’ai 50 ans. Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Si tu guéris cette jambe, alors je viendrai vivre à Paris, je porterai ton nom comme un drapeau et le ferait circuler, où que j’aille».

     Je suis retourné en Espagne, et quand j’ai revu le docteur, il m’apprend que ma lésion a complètement disparue. Le médecin me  demande ce que j’ai fait à Paris, si j’ai suivi des soins particuliers ou une opération au laser pour mon genou. Je lui ai répondu que non. Il m’a fait plusieurs radios pour confirmer le résultat, et effectivement, la lésion avait disparue! d’un point de vue scientifique, on ne pouvait donner d’explication à cette guérison. On a donc conclu qu’il s’agissait d’un miracle. De mon coté, je me suis rendu compte que ma jambe était complètement guérie. Je suis venu à Paris et, pour accomplir ma promesse, j’ai rajouté à mon nom « Juan Sacré Cœur ». Je raconte tout cela dans mon spectacle « Je suis ».

 -Isaac, merci d'avoir levé le voile sur le mystère autour de ton nom, et merci pour cet entretien que tu nous as accordé. Nous te souhaitons beaucoup de succès dans l’enseignement à l'Académie de Flamenco à Paris, et dans ta carrière artistique. A  bientôt!

- Merci à toi, à bientôt!

 

Visiter le site de l'Académie de Flamenco:  www.academie-des-musiques-et-danses-du-monde.com

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Remerciements à Anita Losada pour son accueil chaleureux