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Interview de Samuelito réalisée par Isabelle Jacq Gamboena, en juin 2018

 

 

-      Samuelito, comment est née ta passion pour la guitare et pour le Flamenco ?

-      Dans ma famille, tout le monde jouait de la guitare classique, surtout du coté de ma mère. Mon père jouait plutôt de la guitare électrique mais aucun membre de ma famille ne se dédiait professionnellement à cela. J’ai grandi avec des guitares tout autour de moi. J’avais un doudou en forme de guitare dans mon berceau. Ça a commencé là. Après, comme j’étais très attaché à mon grand-père maternel, j’ai voulu faire comme lui. Il était professeur de sport, mais il avait un très bon niveau en guitare. J’ai donc voulu faire de la guitare classique comme lui. Je suis rentré au conservatoire à 6 ans, j’ai commencé la guitare classique à 7 ans et comme mon grand-père écoutait beaucoup de guitaristes différents dont Manitas de Plata et Paco de Lucia, j’ai baigné dans cette musique sans savoir que c’était du Flamenco. Mon père est tombé amoureux du chant de Manuel Agujetas parce qu’on lui avait offert un CD et qu’il avait vu le documentaire de Dominique Abel. J’avais 3 ou 4 ans. On peut dire que j’ai baigné dans le Flamenco via ce qu’on écoutait à la maison, la guitare via Paco de Lucia et le chant, via Agujetas. Vers 8 ans, j’ai commencé à jouer du Flamenco avec des partitions. J’ai fonctionné ainsi jusqu’à l’âge de 14 ans, puis j’ai compris qu’il y avait d’autres choses à faire et là, j’ai repiqué d’oreille des vidéos, des CD. Je suis allé accompagner des cours de danse et j’ai appris à accompagner le chant.

-      Le chant de Jerez était présent très tôt dans ton inspiration et dans ton cheminement artistique, n’est ce pas ?

-      Oui, en commençant par le chant de Manuel Agujetas. Quand j’ai commencé sérieusement la guitare Flamenca, vers 9 ans, on m’a offert une anthologie de cante. A partir de là, j’ai écouté beaucoup d’autres artistes : Pepe de la Matrona, Rafael Farina, Porrina de Badajoz, Manuel Carracol, Antonio Mairena, tous ces gens là. J’ai vraiment commencé à aimer cela.

-      Tu es né en Normandie ; tes parents et toi êtes d’origine bretonne.  Comment le Flamenco est devenu ta langue natale ?

-      Je l’ai écouté depuis que je suis né, sans le vouloir, via mon grand père maternel et mon père. La question que je me pose moi-même, c’est de savoir pourquoi j’ai choisi le Flamenco plutôt qu’une autre musique, puisque l’on écoutait d’autres styles de musiques aussi. À la maison il y avait du rock et de la musique classique, de la variété. Mon grand père écoutait beaucoup de musique bretonne.

-      Alors, pourquoi le Flamenco ?

-      Je me pose encore la question. C’est probablement comme quand on tombe amoureux d’une femme, il n’y a pas toujours d’explications. Peut être qu’il est bon de laisser un peu de mystère !

-      Depuis que tu t’es formé à la guitare, tu mènes des projets qui relient plusieurs styles musicaux. Peux-tu nous parler de cela et de ta collaboration avec d’autres musiciens ?

-      J’ai une formation classique. Ma langue maternelle en guitare, c’est la guitare classique mais, du fait que j’ai commencé sérieusement le Flamenco à 9 ans, on peut dire que j’ai cette double casquette : guitare classique de conservatoire et Flamenco traditionnel. Sabicas, Montoya, ce registre là. J’ai commencé aussi à m’intéresser au jazz quand j’étais adolescent. Les premières fois où je suis sorti de mes zones de confort, c’est quand je suis venu à Paris. J’ai joué avec beaucoup d’africains, de sénégalais et de maliens. J’ai pris aussi des cours d’improvisation avec Ibrahim Maalouf ; c’était une belle expérience aussi. Dans le cadre de mes études, j’ai joué quelque fois avec lui dans des endroits sympas comme au Louvre par exemple. Plus tard, dans le cadre professionnel, j’ai rencontré Antoine Boyer. Avec lui, nous mélangeons beaucoup d’univers. Il vient du jazz manouche. Nous avons la guitare classique en commun. Il l’a beaucoup travaillé. Nous nous sommes rencontrés sur ce terrain là, au conservatoire de Paris.  Avec lui, je commence à pratiquer le jazz manouche et lui, avec moi, il commence à pratiquer du Flamenco. Nous faisons de temps en temps du classique, du jazz, du flamenco, des compositions fusion. Il y a aussi le terrain Flamenco traditionnel que je continue d’explorer avec Andrés de Jerez, dans la plus pure tradition de Jerez. De mon coté, je continue à composer des musiques qui sortent de toutes les étiquettes que j’ai explorées ces dernières années.

-      Quelles sont tes diverses influences, comment sont-elles apparues et quelle importance ont-elles dans ta façon de jouer ?

-      Ma première influence, c’est la guitare classique. C’est de là que je viens. Mon grand-père écoutait beaucoup Andrés Segovia, Narciso Yepes, Alexandre Lagoya. Mon premier professeur de guitare classique, Louis-Marie Feuillet, était un élève de Lagoya. J’ai étudié aussi avec Gérard Abiton, Roland Dyens. Ils ont été mes maîtres. La guitare classique est très importante et a une forte influence sur moi. Après, il y a le Flamenco traditionnel et le Flamenco moderne via Paco de Lucia et tous les interprètes d’aujourd’hui. Il y a aussi le jazz, que j’ai beaucoup écouté et toutes les fusions qui découlent de ces styles musicaux là. Via ma famille, la musique bretonne, la musique celtique, cela peut s’entendre dans certaines compositions.

-      Nous avions déjà consacré une interview à propos de l’album « Arañando el alma » mais j’aimerais qu’on y revienne un peu. Tu travailles avec Andrés de Jerez d’une manière régulière depuis quelque temps. L’album « Arañando el alma » est le fruit de votre collaboration artistique et de votre amitié. Par rapport à ton parcours artistique et tes projets, quelle place prend cet engagement que tu as avec Andrés ? Est-ce que tout est lié, où est ce que ce sont des facettes différentes de ton art ?

-      En fait, je dirai les deux. Ce sont des facettes différentes forcément parce que je ne fais pas appel aux mêmes ressources quand je joue du Flamenco traditionnel, quand je joue du jazz, quand je joue du classique, ou mes propres compositions qui sont à la croisée de tout cela. Mais elles sont toutes liées, en tout cas, c’est la sensation que cela me donne quand j’écoute mes compositions. J’ai des compositions avec des rythmes Flamencos, et des ambiances classiques et celtiques. J’ai plusieurs facettes qui se relient entre elles. J’ai besoin de naviguer entre ces différentes influences et de me sentir chez moi dans chacun de ces styles. Je n’aurais jamais fini d’apprendre le Flamenco, la guitare classique et le jazz. Avec Andrés, malheureusement, on n’a pas de tournée de prévue, ensemble, du moins pour l‘instant.

-      Il y a eu l’album que vous avec réalisé ensemble, déjà…

-      Oui, cela a été un gros travail, mais nous l’avons enregistré en une soirée et un après-midi seulement. Cette expérience a été très forte. Il y a aussi le fait que nous avons passé beaucoup de temps ensemble et que notre amitié est très forte.

-       Revenons à ton album « Sólo », que j’ai écouté avec beaucoup de plaisir et que j’adore ! Tu as su amener des influences diverses et en même temps, tu les fusionnes tellement bien avec le Flamenco !  on a vraiment l’impression que tu es allé au-delà d’un simple métissage et que la musique que tu livres est très personnelle. Comment as-tu fait ?

-      En fait, je n’ai rien forcé. Pour moi, la difficulté, ça été de ne préparer que très peu cet album. Je l’ai enregistré en 5 jours. Je suis arrivé en studio avec une idée des thèmes, mais aucun d’eux n’était ni construit, ni composé au préalable. Le challenge était, en arrivant au studio, de laisser place à la spontanéité, le lâcher prise, l’improvisation. L’enregistrement a duré peu de temps, mais le mixage et la construction de l’album a été plus long. En fait, faire le lien entre toutes ces musiques là, cela a été assez facile et spontané. J’ai mis des thèmes, j’ai laissé parler ce que je ressentais. Le métissage n’est pas voulu, ni recherché, bien que j’aie conscience qu’il soit présent. Cet album, c’est comme une pause, une parenthèse dans laquelle je me suis enfermé dans une ancienne ferme dans la région des Pays de la Loire, pas très loin d’Angers. Cela a été une petite pause dans ma carrière. Cet album a été enregistré en 2016, et depuis je suis passé à d’autres choses.

-      Dans cet album, tu fais tout toi-même, n’est ce pas ?

-      Oui, je fais tout, toutes les percussions, les palmas, la composition, l’arrangement, les choix du mixage, etc.

-      On te connaît surtout pour ton gout pour la collaboration artistique avec d’autres musiciens. Habituellement, on te voit avec beaucoup d’artistes. Pourquoi ce choix d’enregistrer un album en solo ?

-      Ce qui est marrant, c’est que, quand j’ai commencé ma carrière à 16 ans, je faisais beaucoup de récitals entre guitare classique et guitare Flamenca. C’est l’amour de la musique qui m’a poussé vers l’autre et à rencontrer d’autres personnes. Finalement, dans cet album, il y a non seulement moi mais aussi toutes les personnes qui m’ont influencé. C’est une étape importante pour avancer.

   Ce qui a provoqué l’enregistrement de cet album, c’est un projet d’un autre enregistrement qui s’est annulé. Le créneau au studio était malgré tout réservé. Label Ouest m’a donc appelé pour me proposer ce créneau de 5 jours, en me laissant carte blanche. Donc c’était la totale confiance. Tout d’abord, j’ai pensé à réaliser un duo avec un autre artiste, faire un album Flamenco. Et puis comme c’était difficile d’organiser un tel projet en peu de temps, je me suis décidé 10 jours avant de faire un album en solo. J’ai appelé les copains du label pour les prévenir que j’allais venir avec deux guitares, un cajón, un bol tibétain, une calebasse africaine, et d’autres instruments. De leur côté, je leur ai demandé de m’apporter d’autres instruments à cordes et percussions. J’ai donc joué sur tous ces instruments. Le fait que je sois en studio m’a facilité le travail. Je pouvais faire des pauses, refaire l’enregistrement si c’était nécessaire.

-      Dans cet album, tu révèles ta personnalité, en quelque sorte. Pourrais-tu parcourir les huit thèmes et nous dire quelle a été ton intention pour chacun d’entre eux?

-      Le premier thème « Tiegezh » : comme tout le monde joue de la guitare dans ma famille, et qu’on n’avait jamais joué ensemble, j’ai eu l’idée d’écrire un thème que l’on jouerait ensemble. J’avais donc écrit cette mélodie que j’avais envoyée à mon grand père. Il nous a quitté peu de temps après, et le thème est resté sans utilité ; cet album a été l’occasion pour moi de ressortir ce thème et d’écrire la chanson en entier. Tiegezh, cela signifie « famille » en Breton. 

Le thème suivant, « Comme l’air », je l’avais enregistré il y a très longtemps, dans un EP (5 titres, album qui sert à démarcher) que j’ai sorti en 2015. J’avais envie d’enregistrer une nouvelle version plus proche ce que j’avais en tête que l’original. Cette mélodie est en lien avec ce que j’ai vécu, avec le fait que j’avais besoin d’affirmer ma liberté.

« Jërëjëf » qui signifie « Merci » en wolof, est un thème que j’ai trouvé en jouant avec mes amis Sénégalais et Maliens qui me disaient toujours « Jërëjëf » quand on terminait un morceau. J’ai remarqué qu’il y a beaucoup de parallèles entre les rythmes Flamencos et certains rythmes africains. Pour moi, ce qui  s’imposait c’était le mbalax et la Buleria. Dès que je leur ai joué de la Buleria, ils ont aussitôt trouvé les rythmes à la calebasse,  au tama, toutes les percussions. J’ai donc trouvé un motif que je m’amusais à faire passer de la Buleria aux rythmes africains en gardant la même pulsation.

« Navegando », c’est une Guajira que j’avais crée il y a longtemps. J’avais les arpèges du début que j’aimais beaucoup jouer. J’ai donc fini d’écrire la Guajira. Dans certains spectacles de danse, les danseuses ont monté une chorégraphie dessus. Je l’ai joué plusieurs fois avec Eva Luisa.

« Sol » : c’est une sorte d’improvisation. Pour mon anniversaire, un ami m’avait offert un bol tibétain d’une sonorité exceptionnelle. Toute cette piste là s’articule autour du son du bol. On entend le bourdonnement du bol, tout au long de la chanson qui dure huit minutes. Je l’ai construite comme une méditation guidée. Mon idée était qu’on puisse écouter ce thème en fermant les yeux et en se laissant guider par la musique. Le but est d’amener à un certain de niveau d’écoute et de conscience.

« Yarnvili » évoque la maison de mes grands parents, dans laquelle j’ai passé beaucoup de temps quand j’étais enfant et où je continue à aller régulièrement. Elle est située en Bretagne, dans un village qui s’appelle Boisgervilly, qui peut se traduire par Yarnvili en breton. C’est une mélodie dans l’esthétique bretonne que j’ai crée en hommage à ce petit village, et plus précisément en hommage à mon grand père, qui a été le premier guitariste à retranscrire toute la musique bretonne sur partition pour guitare classique et à la jouer. A mon avis, il a vraiment créé quelque chose, d’autant plus que la guitare classique s’adapte particulièrement bien à la musique bretonne.

« Para siempre » est un hommage au Maestro Paco de Lucia. C’est une mélodie que j’avais composée et quand le maestro est décédé, elle a pris un autre sens. Je l’ai retravaillée et elle s’est imposée d’elle-même comme un hommage à Paco. Je suis accordé en Rondeña. C’est un accordage particulier que Paco a su magnifiquement utiliser, surtout en début de concert. C’était la pièce qu’il jouait en solo, par excellence.

« Sonámbulo », c’est un thème que j’ai composé il y a longtemps, qui était passé par plein de stades différents. Dans cet album, je l’ai enregistré en 5 temps, un peu en mode bulgare, c’est-à-dire un peu dans l’esprit des balkans. Je le voyais un peu comme une Siguiriya. Comme je n’avais que 5 jours pour enregistrer l’album, et que je n’ai pas pu inviter de chanteur, j’ai chanté moi-même deux letras de Siguiriyas et je les ai accompagnées  avec ce rythme à cinq temps.

-      Sachant que tu as un regard très critique sur ton travail, pourrais tu me dire quand même ce qui te plait dans cet album ?

-      Ce qui me plait dans « Sólo »?... en fait, cet album, c’est comme une photo de moi à l’époque où j’ai réalisé ce disque. Ce que j’aime aussi, c’est le fait qu’il y ait cette spontanéité. Je n’ai pas été pudique, je me suis vraiment dévoilé, j’ai fait la musique que j’avais envie de faire. J’ai été sincère et spontané. Je suis donc content de ce disque même s’il ne constitue pas l’aboutissement d’un travail de longue haleine.

-      Nous, nous le trouvons magnifique ! Une qualité de présence dans ton travail, ta façon d’amener la musique, c’est énorme ! C’est le style de musique que nous pouvons écouter et réécouter sans nous en lasser car elle comporte toujours de nouvelles couleurs, tout comme l’album « Coïncidence » que tu as enregistré avec Antoine Boyer et que nous adorons, aussi. Pourrais-tu nous parler ce cet album ?

-      Cet album, c’est notre premier album ensemble. Il raconte l’histoire de notre rencontre et de nos terrains d’entente. Il est sorti en décembre 2016. Il y a du manouche, du Flamenco, du classique, du David Bowie, du Roland Dyens. C’est un album extrêmement varié. Avec nos deux guitares, nous explorons beaucoup d’univers. Nous l’avons enregistré dans un magnifique studio en Allemagne, nous sommes très contents du son. Avec cet album, nous avons déjà beaucoup tourné et notre duo continue à nous amener sur toutes les routes… j’en suis ravi !

-      As-tu un autre projet d’album?

-      Oui, actuellement, je me dédie à l’enregistrement de mon album « Viajero », mon premier album Flamenco. Je pense que c’est l’un des projets les plus importants de ma vie. Je vais y intégrer des compositions que je travaille depuis l’âge de 18 ans. Cela fait longtemps qu’elles sont écrites, qu’elles changent qu’elles avancent et qu’elles ont pris de la maturité. Je les ai beaucoup jouées sur scène.

-      La sortie de cet album, elle est prévue pour quand ?

-      Il ne sortira pas avant le printemps 2019, en tous cas je m’y consacre pendant au moins un an…

-      Qui sont les artistes qui vont participer à l’enregistrement?

-      Je vais inviter beaucoup de musiciens. Le gros travail en dehors de la guitare, ce seront les palmas et les arrangements de percussions. Le soutien énorme pour cette composante sera celui de Juan Manuel Cortes. Il y aura beaucoup d’invités, des musiciens, des chanteurs… Pour l’instant, il n’y a rien de confirmé, mais il y a de très grands artistes que j’ai invité sur cet album… ce sera la surprise ! Je vise un niveau d’exigence extrême et je souhaite qu’il marque ma carrière autant que l’album « Coïncidence » que j’ai réalisé avec Antoine Boyer.

-      … Et l’album « Sólo » que nous apprécions beaucoup aussi. Quels sont tes projets de concert ?

-      Je souhaite me consacrer à mon duo avec Antoine. C’est un duo qui me fait beaucoup avancer. Antoine est un musicien de génie.  Malgré son jeune âge, il est déjà très mature. J’apprends beaucoup avec lui. Je souhaite continuer à passer du temps avec lui, et qu’on fasse beaucoup de concerts. Nous avons déjà beaucoup de dates : un mois de tournée en Europe à la fin de l’année, deux mois aux Etats Unis à partir de janvier, sans compter les concerts que l’on fait régulièrement en France et en Allemagne. Je participe également à pas mal de projets différents. Je vais quand même me concentrer sur ma carrière solo et développer ma chaine Youtube, faire des vidéos parce que cela me plait. 

-      Merci Samuelito, nous continuerons à suivre de très près ton actualité. A bientôt !

-      Merci à toi ! A bientôt !