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Interview de  Sandrine Rabassa

réalisée par Isabelle Jacq Gamboena

 en juillet 2014

 pour Musique Alhambra

 

 

Le Festival International Arte Flamenco de Mont de Marsan qui s'est déroulé du 30 juin au 5 juillet 2014, a remporté un véritable succès.  De par la qualité de la programmation et l'intensité des moments que le public et les artistes on vécu, nous avons considéré cette édition comme étant historique. Quelques jours après cet évènement dont nous étions encore tout imprégné, nous avons eu le plaisir d'avoir un entretien avec Sandrine Rabassa, Directrice artistique du Festival:

- Le Festival International Arte Flamenco de Mont de Marsan s’est terminé, il y a quelques jours. En tant que Directrice artistique de ce Festival, quelles sont tes impressions sur cette 26ème édition ?

- Vu les messages que je reçois et les retours que j’ai, c’était une édition spéciale, voire historique, avec des moments où le temps a été suspendu et où les spectateurs ont pu vivre des moments Flamencos qui resteront gravés dans les mémoires. Cela a été très significatif le soir de la rencontre entre Manuela Carrasco et Antonio Canales, mais aussi entre El Pele et Encarna Anillo, quand ils ont chanté ensemble sur scène; chacun est reparti avec beaucoup d’émotion et des souvenirs pour toute la vie, d’après les retours que j’ai.

- Certains aficionados fidèles au Festival affirment que, selon eux, cette édition était la meilleure. Qu’en penses-tu ?

- Oui, c’est ce qu’on m’a dit aussi. Les aficionados qui suivent le festival depuis ses débuts m’ont dit que cette édition était l’une des meilleures, voire la meilleure. Mais, la programmation seule ne suffit pas. C’est un ensemble qui fait qu’on touche à un moment donné, à une forme d’excellence. Tout compte: la ferveur et la passion du public et aussi de toutes les personnes qui travaillent tout au long de l’année, les équipes de François Boidron, du Conseil Général, que ce soit au niveau technique, de la mairie, toutes les personnes qui mettent du cœur et du sens pour que ce Festival soit une véritable réussite, cette année, a été véritablement significative de ce travail là.

- Revenons à ces rencontres d’artistes. Comment t’es venu l’idée de réunir ces artistes là, précisément ?

- Je pars toujours de ce que je vois et de ce que je ressens et, sincèrement, pour le spectacle du mercredi, qui est un spectacle unique où je voulais marquer la semaine et les esprits, j’ai tout simplement réfléchi et je me suis demandé quoi faire pour pouvoir avoir du sens. J’ai cherché du sens. Dans le Flamenco, on parle toujours des sentiments, de l’âme, de l’humain. A un moment donné, il faut se pauser les bonnes questions. Si l’on veut avoir un résultat Flamenco, il faut y mettre les éléments nécessaires, y compris dans le choix de la programmation. Il fallait mettre des personnes avec une âme magnifique, des capacités et une maitrise technique qui ne sont plus à prouver, mais surtout du sens. Mais le seul élément qui ait véritablement du sens dans le Flamenco, c’est bien le cœur. Antonio Canales et Manuela Carrasco, au-delà d’être des artistes reconnus internationalement et des stars du Flamenco, sont des véritables amis, des personnes avec un cœur énorme et avec qui le Festival a une véritable histoire d’amitié. Un journaliste de la Radio Canal Sur m’a demandé comment j’arrivais à faire cela. Je lui ai répondu de je ne faisais rien. Il m’a rétorqué « Tu ne te rends pas compte que ce qu’ils font, ils le font pour toi! » Je lui ai répondu qu’il s’agit probablement d’une histoire d’amitié et surtout de sincérité. Je suis très touchée par le fait que les artistes se donnent à Mont de Marsan, comme nulle ne part ailleurs, et que cela continue. Plus nous ferons des programmations avec du sens et du cœur, plus nous aurons les résultats que nous constatons déjà.

- Le taux de fréquentation des spectacles, comment était-il par rapport aux années précédentes ? La météo n’a pas été très favorable cette année. Le festival Off en a-t-il pâti ?

- J’attends les résultats précis à ce sujet. Nous avons une réunion vendredi, et nous aurons tous les résultats. Logiquement, quand il pleut, ce qui était prévu à l’extérieur ne pouvait pas fonctionner au mieux. Cependant, en ce qui concerne le taux de fréquentation dans les salles, comme depuis quelques années, nous étions complets très rapidement, voire les premiers jours pour certains spectacles.

- Cette année encore, le Flamenco était représenté autant dans la ville que dans les salles de spectacle. L’accès gratuit à plusieurs évènements est un atout majeur de ce Festival. Vu la conjoncture économique actuelle, la gratuité des spectacles en extérieur va-t-elle être reconduite, d’une année sur l’autre ?

- François Boidron est mieux placé que moi pour répondre à cette question puisque cela concerne les finances du Festival. A priori, cela sera maintenu. Quoi qu’il en soit, si l’on devait faire des économies, effectivement, nous serions obligés d’en faire quelque part. Cela dit, c’est aussi important pour le Flamenco que pour les festivaliers de pouvoir assister à des spectacles gratuits, des initiations gratuites pour les enfants. Il est important de préciser qu’en parallèle de la programmation au Café Cantante et à l’espace François Mitterrand, il y a d’autres activités et de véritables actions mises en place pour la diffusion du Flamenco en direction aussi du public empêché: dans les hôpitaux, les prisons. Au-delà des spectacles gratuits, il y a tout un travail du même niveau pédagogique qu’une école. Il y a eu des initiations dans les crèches.. C’est énorme et cela va bien au-delà des spectacles gratuits en extérieur! Effectivement, il va falloir réfléchir à cela. Pour l’instant, nous n’y sommes pas encore, et nous espérons, pour le plaisir de tout le monde et pour ceux qui ont pu profiter du Festival, que ça puisse continuer ainsi.

- Actuellement, les artistes issus de la scène française sont programmés, en général, à la Bodega. Dans les programmations futures, ces artistes auront-ils l’espoir de se produire sur la scène du Café Cantante ou sur celle de l’espace François Mitterrand ?

- Tout d’abord, je tiens à rappeler que certains artistes français se sont déjà produits sur les grandes scènes du Festival. En effet, Ana Perez y déjà dansé et le chanteur Jesus de la Manuela a fait la fête de clôture avec Pedro el Granaino, l’année dernière. Concernant les salles avec entrées payantes, je suis obligée de donner au public, à ceux qui ont acheté leur entrée, des spectacles qui ne peuvent pas voir en France. Tout le monde ne peut pas se rendre à la Biennale de Séville, tout le monde ne peut pas assister aux spectacles au Festival de Jerez! Donc, je dois aussi proposer des spectacles pour le public qui ne peut se déplacer sur des festivals internationaux. C’est ce que je propose dans la programmation, sur la scène du Café Cantante et de l’Espace François Mitterrand.

- Au-delà des moments forts que tu as évoqués tout à l’heure, y a –t’il eu d’autres moments intenses que tu aimerais nous raconter ?

- Oui, il y a eu des jolis moments et de belles choses tous les soirs. J’ai été très touchée particulièrement par la rencontre d’Encarnita et d’El Pele. Le duo sur la chanson « El alma » d’El Pele a été un bon moment aussi. Les jeunes talents, Selene… Un festival, c’est une vie en raccourci. Il se passe beaucoup de choses en peu de temps et on multiplie les liens. Il y a plus de 300 artistes qui viennent! C’est une histoire de groupe. A chaque nouveau groupe, on vit des choses différentes; Les professeurs de stages eux, ils se donnent toute la semaine. Une véritable famille Arte Flamenco se met en place durant toute cette semaine là. Comme dans la vie, il y a des bons moments, des moments très forts; quand on doit se séparer, ce sont des moments plus tristes mais nous avons toujours l’espoir de nous retrouver l’année suivante.

- Concernant les moins bonnes surprises, si tu as envies de les évoquer, y a-t’il eu des difficultés inattendues à surmonter ?

- Là aussi, il faut être très réaliste et vrai. Bien sur, on ne peut pas gérer un festival de cette envergure sans qu’il y ait des difficultés, qu’elles soient d’ordre technique ou dans les rapports humains, car beaucoup de personnes travaillent ensemble et il faut maintenir un peu tout cela. C’est un peu comme sur un bateau, il faut un capitaine et, après, on règle les soucis et on fait en sorte que le bateau arrive à destination et qu’on ne jette personne à la mer! Et puis on oublie les difficultés parce que, c’est un peu comme faire face à des difficultés quelles qu’elles soient, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. L’essentiel est qu’on avance.

- Chaque année, les artistes expriment leur gratitude envers ce Festival. Souvent, ils le disent directement au public, quand ils sont sur la scène, comme El Pele qui t’a remercié et t’a invitée à venir le rejoindre sur scène, à la fin de la représentation. Beaucoup disent qu’ils donnent le meilleur d’eux même lors de cet évènement. Quel est ton secret pour susciter une telle implication de la part des artistes?

- Si je le disais, ce ne serait plus un secret (sourire)… je pense que ça se joue au premier coup de fil, quand je téléphone à un artiste et que je lui dis : «  Voila, j’ai une idée […] qu’est ce que vous en pensez ?» Bien sur que la relation que j’ai avec les artistes doit forcément aider. C’est plus facile de travailler en relation de confiance, d’amitié, avec des artistes avec lesquels j’étais liée presque familialement quand je vivais en Espagne. Forcement, il y a des affinités et une confiance qui favorise les choses. Nous sommes dans un Festival où c’est l’humain et le Flamenco qui compte avant tout. Ainsi, quand je fais part des projets qui semblent peu communs pour certains artistes, quand je présente l’intérêt que cela peut avoir pour le Flamenco de faire cela, il y a une forme de confiance et de respect mutuel qui s’instaurent et qui font qu’ils disent: « Oui, on te suit, on y va, et on fera tout pour que cela se passe comme tu l’avais imaginé.» Voila comment ça se passe dans une véritable honnêteté et une grande liberté. Avant de monter sur scène, je leur dis à tous et à chacun «  La scène est à vous, vous êtes chez vous. » C’est peut-être cela la phrase magique ! Offrir un Flamenco dans un monde où le Flamenco devient très cadré, très commercial, alors que, pour les artistes, ce qui compte avant tout, c’est la liberté. Ce sont peut-être ces phrases que je dis avant de monter qui leur donnent envie de se sentir libre et de se transcender. C’est ce que m’ont dit certains artistes.

- Cette année, Manolo Marin a donné un Master-class. Il a assisté aussi à tous les spectacles. Sa présence dans les lieux du Festival, qu’est-ce que cela a suscité en toi ?

- Quand j’ai téléphoné à Manolo parce que je voulais qu’il soit l’invité d’honneur du Festival, c’était important pour moi, car c’est un monsieur chez qui sont passés les plus grands, il faut le préciser. C’est une référence dans le monde du Flamenco. Nous sommes un Festival qui sait aussi reconnaitre la valeur des personnes qui ont fait que le Flamenco est devenu ce qu’il est. Manolo est une de ces personnes qui ont donné ses lettres de noblesse au Flamenco. Donc, un festival comme le nôtre, rendant hommage à une personnalité comme Manolo, cela me paraissait absolument logique et indispensable. Au-delà de cela, c’est vrai que le fait de le voir présent dans la salle, au premier rang, avec un visage toujours rayonnant, ouvert et avec le sourire, cela m’a plutôt rassurée. Dans le fait de réaliser une programmation, il y a la projection de mes gouts personnels, de ma sensibilité. Ce n’est pas évident que tout le monde ressente la même chose. Bien sur, j’ouvre mon cœur le plus grand possible pour que tout le monde puisse y trouver ce dont il a besoin pour satisfaire ses exigences artistiques et émotionnelles. Néanmoins, j’ai toujours un doute de savoir si mes choix sont aussi le choix du public. J’avoue que, cette année, Manolo a été mon baromètre. Quand je percevais son engouement dès le début du spectacle, je me disais en moi-même : « Ca va, ça va le faire ! »

- Pourrais-tu nous donner un avant-gout de la programmation de la prochaine édition ?

- Après cette édition qu’on qualifie déjà d’historique, j’ai envie de faire durer le plaisir. L’ingrédient de la réussite a été de produire de l’inattendu et des spectacles qu’on ne voit pas ailleurs. Il faut donc que j’ « oublie » pendant un instant ce qui s’est passé cette année pour faire place à de nouvelles idées pour l’année prochaine: Soit de réunir certaines personnes, soit de faire encore des choses qui aient du sens. Je crois que la véritable clé du succès, pour qu’il y ait de l’émotion et des sentiments, pour que le Duende arrive, c’est le fait de présenter des spectacles qui aient du sens et de la sensibilité. C’est cela l’objectif. J’ai déjà des noms de personnes que j’avais déjà en réserve depuis l’année dernière. On va essayer de relever le défi de ce 26ème Festival pour que le 27ème soit aussi Historique.

- C’est ce que nous souhaitons aussi… Merci beaucoup Sandrine pour cette édition que nous considérons aussi comme étant historique et dans laquelle nous avons senti, d’une manière palpable, la présence du Duende! A bientôt !

 

Reportage sur la 26ème édition du Festival International Arte Flamenco de Mont de Marsan: accéder au reportage