Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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Interview de Juan Carmona

réalisée par  Isabelle Jacq 'Gamboena'

 en avril 2010, pour Musique Alhambra

 

 

 

 

A l'occasion de la sortie de son nouvel album 'El sentido del aire', Juan Carmona s'est produit sur la scène de l'Européen, à Paris, faisant salle comble. Après son magnifique concert, Juan nous a accordé l' entretien qui suit:

- Juan, 3 années ont passées avant la sortie de ton nouvel album 'El sentido del aire'. Qu'est-ce qui a motivé la création de cet opus?

- Après avoir réalisé 'Orillas', un disque basé sur la rencontre avec la musique du Maghreb et la 'Sinfonia Flamenca' qui est plus une rencontre avec un orchestre classique, j'avais envie de retourner à ce que je suis, car je n'ai jamais cessé et je serai toute ma vie un guitariste Flamenco. Après avoir réalisé ces deux albums, j'avais envie de revenir à un album Flamenco de guitare. Si j'ai pris le temps de le faire, c'est parce que je souhaitais revenir à un travail à la hauteur de 'Borboreo'. Cet album a beaucoup plu dans le milieu du Flamenco et il a beaucoup marqué. C'était une responsabilité et un poids pour moi, à l'époque où je vivais à Jerez. J'ai eu besoin de prendre le temps pour composer mon nouvel album.

- 'El sentido del aire', pourquoi avoir choisi ce titre?

- En fait dans 'El Sentido del aire', il y a un jeu de mots. 'Sentido del aire', cela peut être le sens de l'air et c'est aussi le 'feeling' en Flamenco. J'ai porté beaucoup d'attention au rythme lors de l'élaboration de ce disque. Il y a eu plusieurs périodes dans le Flamenco. Auparavant, il fallait avoir une super technique pour être un super guitariste Flamenco, plus tard, il fallait avoir beaucoup d'harmonies pour se faire remarquer dans le milieu et aujourd'hui, c'est le rythme qui prime, c'est dans l'air du temps. Les jeunes sont à l'affut des rythmes du Flamenco. Ce titre exprime tout cela et j'exprime aussi l'orientation que je veux donner à ce travail.

- Dans ce nouvel album, tu reviens à l'essence du Flamenco, n'est-ce pas?

- Oui, l'essence du Flamenco qui est caractérisée par le compas, el aire et le soniquete...

- Cet album est produit par Juan José Suarez 'Paquete'. Pourquoi as-tu fait ce choix?

- Paquete , qui est le fils de Ramón 'El Portugués' est le directeur artistique de ce disque. Il est aussi à l'origine de la 'Barbaria del sur' qui faisait partie à l'époque de Ketama, des révolutionnaires du Flamenco. J'ai choisi ce producteur car c'est quelqu'un qui a une grande connaissance de la tradition du Flamenco tout en ayant une grande ouverture d'esprit. Il faut savoir que Paquete est à l'origine de projets comme les albums d'El Cigala est de ceux de Tomatito. Pour moi, c'est important d'aller vers quelqu'un comme lui.

- Pourrais-tu nous commenter chaque thème de ton album? il débute par un tango, n'est-ce pas?

- Oui, le premier thème est un tango Flamenco qui donne le titre de l'album. Dans ce thème, ce qui est très important c'est la essencia Flamenca mais avec un touche de modernité. Cette touche de modernité a été amenée par le son, par les harmonies et le soniquete. Dans ce thème, Paquete joue la mandole. Le deuxième thème 'La estrella que me guia' est une Buleria. J'ai fait un gros travail car je l'ai vraiment pensé pour deux guitares. Chaque falseta a été construite de manière à ce que la 2ème guitare puisse répondre ou avoir un rôle aussi important que la première. C'est pour cette raison que c'est moi même qui fait les deux guitares. C'est un morceau où j'ai invité El Piculabé, un chanteur que je souhaitais inviter depuis longtemps. Il chante très bien et je l'aime beaucoup. Il a fait une letra dont tout le monde parle. Il y a aussi l'apport de mes amis de Jerez puisqu'il y a El Grilo, El Lua, Carlos Grilo. Il y a aussi Montse Cortes, dont j'aime beaucoup la voix. Le 3ème thème 'Camino de la memoria' est une Minera. Je l'avais composée il y a longtemps et j'avais envie de la revoir et de l'approfondir. J'avais été marqué par l'époque où je me suis présenté au concours de La Union dans les Cantes de La Mina et j'en garde un souvenir assez fort. J'avais écouté Encarna Fernandez qui est une grande chanteuse de la Union. La voix de cette femme m'a beaucoup inspiré. Je termine la Minera d'une manière un peu particulière, a compas 4 pour 4, presque por Buleria où je fais intervenir des gens comme Bernardo Parilla au violon et tous les gens de Jerez. Paquete est là aussi. Il était important pour moi d'effectuer ce changement et de terminer cette Minera d'une manière plus festive.

- Ensuite il y a 'La Gachi'...

- Oui, 'La Gachi', les gens savent ce que c'est. J'ai simplement voulu mettre une pointe d'humour, c'est un thème un peu plus léger. C'est une Rumba Flamenca que j'ai beaucoup harmonisée, avec des consonances brésiliennes, parfois accompagnée d'un excellent bassiste, Michel Alibo. Le thème suivant, 'Soleariyas', je l'ai composé avec beaucoup d'intérêt, en voulant changer un peu les codes de la Solea. Tout le monde la joue en mi ou en la. Harmoniquement, j'ai trouvé une suite d'accords qui me semble très intéressante pour la Solea. La rythmique est pensée comme la Buleria, tout en restant por Solea. A la fin, j'arrive à mêler la mélodie aux chœurs très Flamencos. Nous avons pris beaucoup de plaisir à l'enregistrer. Puis, il y a 'Juanelo'. En fait, Juanelo est un vieux chanteur de jerez qui chantait très bien por Seguiriya et comme c'est une Seguiriya, il était indéniable que je devais l'appeler ainsi. Je suis parti sur une Seguiriya avec un accordage proche de celui de la Rondeña. La profondeur de la Seguiriya, c'était important de la respecter, tout en lui apportant une touche de modernité. Le thème suivant c'est 'Brijinda'.

- C'est un titre assez énigmatique...

- En fait, Brijinda est un mot gitan qui se traduit par la pluie. Quand j'habitais à Jerez, un ami avait écrit un dictionnaire en Kalo et il m'en avait donné un exemplaire. C'est de là que je tire certains mots que l'on retrouve dans quelques thèmes de mes albums. Il faut savoir que j'accorde beaucoup d'importance au fait de mettre des mots en Kalo dans mes disques. Dans 'Borboreo', par exemple, il y a un thème qui s'appelle Pepindorio. Cela veut dire 'Antonio' en Kalo et c'est le nom de mon fils. 'Crayisa', dans la Sinfonia Flamenca, cela veut dire 'Reine'. J'attache de l'importance à cette langue car je souhaite qu'elle ne se perde pas, d'autant plus que mes parents sont gitans. Dans 'Brijinda', je mets l'accent sur la mélodie en essayant de trouver des accords profonds. Puis, il y a 'Los Migueletes', qui est une Buleria dans laquelle j'ai invité Montsé Cortes et Piraña. Je finis l'album avec Campañillero et j'ai beaucoup apprécié de le faire en trio avec Duquende et  Chano Dominguez. Lorsque je  leur ai fait cette proposition d'enregistrement, ils ont accepté immédiatement et comme ils habitent tous les deux à Barcelone, je suis parti là bas et nous avons enregistré ce thème à Barcelone.

- As-tu enregistré dans différentes villes pour réaliser cet album?

- Oui. Quand je cherche des artistes à Barcelone, je vais à Barcelone, je vais chercher des artistes à Jerez, j'enregistre à Jerez et cela se passe de la même manière pour les différents artistes.

- Quels sont les thèmes qui te tiennent le plus à cœur?

- J'aime beaucoup le Tangos, la Buleria, mais j'aime beaucoup aussi la Seguiriya et la ballade aussi, en fait, c'est difficile de choisir...

- Quelle est la place du cante  dans ta création et dans tes spectacles?

- Le cante, c'est fondamental. je peux paraitre un peu révolutionnaire pour certains, mais je le répète, je ne suis qu'un guitariste Flamenco et je le resterai toute ma vie. C'est la seule chose qui me fait vibrer. Quand je suis parti pendant une dizaine d'années à Jerez, je n'ai accompagné que le chant et la danse. J'ai accompagné Agujetas, Terremoto, El Grilo, El Pipa... ils me voyaient tous comme un guitariste qui accompagnateur et ils ne savaient pas que j'étais aussi un compositeur; C'était volontaire de ma part car j'avais besoin de comprendre comment cela fonctionnait car, pour moi, l'âme du Flamenco, c'est le chant. Dans mes spectacles, même si je m'en vais loin du Flamenco, il y a un cante por seguiriya qui tombe à un moment donné bien précis. Mon dictionnaire, quand j'étudie chez moi, c'est la Paquera, Terremoto, El Zambo, Capullo, la Fernanda y Bernarda, c'est Agujetas... mais comme je vis avec mon époque, j'essaye de vivre avec elle et avec tout l'acquis que j'ai  dans le Flamenco.

- Cet album est-il un aboutissement ou est-ce le début d'un nouveau cycle?

- En fait, j'ai presque fini un autre album et après avoir fait cela, je me demande si c'est le moment de le sortir car ce travail est assez loin du Flamenco et comme j'ai pris gout à revenir aux sources du Flamenco, peut-être vais-je réaliser un autre album Flamenco avant de sortir celui-là...

- Donc tu es toujours en pleine créativité, n'est-ce pas?

- Oui... ce qui est sûr c'est que chaque fois que j'ai fini un album, je me dis que c'est le dernier, car je suis très fatigué, mais, 10 jours après, c'est reparti pour de nouveaux projets.

- Tu as conçu ta marque de guitare. Pourquoi?

- Je me suis rendu compte que quelques marques détenaient le monopole des guitares Flamencas et que ce sont des guitares très bonnes mais très chères... En dehors de cela, je suis passionné de lutherie, depuis toujours et j'avais envie de mettre au point une guitare qui ait une grande qualité sonore et qui soit d'une grande commodité. Très souvent, les luthiers ne se rendent pas compte que jouer de la guitare, c'est très difficile et, en plus, si l'instrument n'est pas commode, cela complique les choses. J'avais envie d'arranger tout cela et que ma guitare soit à un prix accessible et pour l'instant, cela se passe bien.

- Utilises-tu la guitare que tu as conçue quand tu joues?

- Oui, la guitare avec laquelle je jouais ce soir c'est une des miennes.

- Quelles sont tes prochaines dates de spectacle?

- Je serai en Italie, à Milan, et à Oslo avec l'orchestre symphonique d'Oslo, puis je vais à Montréal, puis en Russie et j'ai encore d'autres dates...

- Merci Juan et à très bientôt

Visiter le site Web de Juan Carmona: www.juancarmona.com

  Ecouter des extraits sonores de l'album 'El sentido del aire'

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Remerciements à Cendryne Roé et à Julie Barlatier de Nomad Kultur