Reportage sur le récital de Manuel
Agujetas et de Tomasa La Macanita, le 14 février 2014 à Paris
à la Maison des Arts de Créteil
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Texte: Isabelle Jacq Gamboena
photos: Alain Jacq
Manuel Agujetas et Tomasa la Macanita: le Duende à
l'état pur
Deux grandes figures du cante Flamenco de Jerez, Manuel Agujetas et Tomasa
la Macanita ont fait escale à la Maison des Arts de Créteil, vendredi 14 février
2014 ( jour de la Saint Valentin), dans le cadre du Festival Sons d'hiver.
Nous pouvons affirmer que les amoureux du
Flamenco ont été comblés par cette soirée qui a été reçue comme le plus beau
cadeau de Saint Valentin. Retour sur ces moments pleins de duende.
En première partie, la cantaora Tomasa Guerrero La Macanita
a investi la scène, accompagnée par ses musiciens. La Macanita a offert un récital vibrant d'émotions, alternant des chants festifs
tels que la Buleria, les Tangos avec des chants plus profonds et graves comme la
Solea, et la Seguiriya. Alliant sensibilité, douceur et caractère,
la Macanita a conquis le public avec son chant déchiré et pur, sa voix à la
tessiture voilée. Il faut dire que, depuis toujours, la Macanita baigne dans
l'univers du flamenco et que depuis l' âge de 10 ans, elle est
considérée comme une des révélations du chant. Sa carrière artistique a commencé
à l'âge de 15 ans en partageant la scène avec des grands artistes Flamencos de
Jerez comme El Torta,
Moraíto, Capullo. Depuis, elle mène un carrière
artistique internationale, s'attachant toujours à transmettre l'authenticité du
cante Flamenco gitan de sa terre natale. Ce soir là, les saveurs de Jerez
étaient bel et bien palpables notamment avec la présence des talentueux
palmeros Manuel Romero Guerrero et Manuel Pantoja Carpio qui excellent dans
la maitrise des rythmes, apportant des subtilités par l'alternance des
contretemps et les jaleos, et lorsqu'ils ont interprété la Buleria,
palo typique de Jerez, nous étions plongés dans l' ambiance des
juergas de leur ville natale. La Macanita a dansé aussi, avec passion et
envie, lâchant parfois le micro pour se lancer dans une merveilleuse pata por
Buleria, encouragée par les palmeros et le talentueux guitariste
Manuel Valencia Medrano. Le public a longuement applaudi ces artistes.
La deuxième partie était consacrée à Agujetas, l'une des plus
grandes figures actuelles du cante jondo. Assis près de son fidèle
guitariste Antonio Soto, il a commencé à chanter. C'est alors que l'air s'est
épaissi. Une ambiance profonde et ténébreuse envahit la salle. Le public retient
son souffle. Le visage émacié d'Agujetas se crispe tandis qu'il profère des sons
et des mots avec une puissance expressive d'une force extrême. Agujetas
n'interprète pas le Flamenco, il Est le Flamenco. Son corps se tord, ses
mains se crispent, ses doigts arrachent les atomes de l'air, sa voix plante les
mots dans notre chair, dans notre cœur qui saigne, comme saigne celui d'Agujetas.
Issu d'une lignée gitane de cantaores, c'est dans la forge de son père
qu'Agujetas a commencé à chanter le Flamenco et c'est aussi son père qui lui a
transmis les codes de cet art. Agujetas a lui même transmis cette connaissance à
sa fille Dolores, perpétuant ainsi un style de cante qui s’enracine dans
une tradition familiale. Toujours aussi libre, et plus que jamais maître
de son art, Agujetas vit aujourd’hui encore non loin de Jerez. Lors de ce
récital, Agujetas a livré un chant puissant, authentique et poignant d'émotions.
L'intervention de son épouse a aussi été très remarquée. En effet, d'origine
japonaise, Ikeda Kanako a dansé à quelques reprises, exprimant avec
beaucoup de sensibilité et de solennité un baile personnel. Kanako est
très à l'écoute du chant, elle sait planter quand il faut les coups de bâton où
les taconeos pour apporter la rythmique, tandis qu' Agujetas livre son
chant âpre et profond, accompagné par les accords de guitare d' Antonio Soto.
Puis, Agujetas l'a invitée à s'assoir à ses cotés pour l'accompagner aux
palmas. Ce soir là, les artistes ont offert au public ce qu'ils pouvaient
espérer par dessus tout: le duende à l'état pur!