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Interview de René Robert réalisée par Isabelle Jacq en 2007

pour Musique Alhambra

 

Photos: René Robert

 

 

René Robert

Grand photographe du flamenco et fin connaisseur de cet univers artistique, René Robert a immortalisé sous son objectif photo les plus grandes figures du Flamenco tels que Paco de Lucia, Fernanda de Utrera, Pastora Galván, Sara Baras, La Susi,  Tomatito, El Torombo, El Torta, Vicente Amigo, Eva La Yerbabüena et bien d'autres encore, au travers des portraits d'une beauté sublime , où l'authenticité se conjugue avec la grâce. Toujours au paroxysme des émotions, René Robert restitue  l'intensité des moments vécus au travers des photos magnifiques et bouleversantes. Ses photos sont rassemblées dans les ouvrages suivants :"Flamencos, la rage ou la grâce" (Ed. Alternatives 1993), "La Râge & la Grâce" (Ed. Alternatives 2001) et "Flamenco Attitutes" de Gabriel Sandoval (Ed. Solar 2003). C'est dans un café en plein cœur de Paris que René Robert nous a chaleureusement accordé l' entretien que nous vous restituons:

 

- René Robert, tu as un long parcours en tant que photographe de Flamenco. Comment ce parcours a-t-il débuté ?

- Je suis d’abord devenu photographe…  J’ai découvert la photo vers 14 ans par l’intermédiaire du père d’un de mes très bons amis qui pratiquait la prise de vue et développait ses images en noir et blanc dans sa cave. Il m’a invité à voir comment cela se passait et ça a été une révélation pour moi. J’ai trouvé l’apparition de l’image assez miraculeuse. Après le bac, je me suis dirigé vers le métier de photographe. J’ai fait de la photo publicitaire. En parallèle j’enseignais pour régulariser mes revenus. J’ai découvert le Flamenco tout à fait par hasard, aux alentours de la trentaine. C’est une suédoise qui me l’a fait découvrir dans un tablao nommé « LE CATALAN » qui existait dans les années 50 et était situé de l’autre coté de la Seine, rue des Grands Augustins. Picasso l’avait fréquenté, d’autant que son atelier était situé dans la rue. Ce tablao était le rendez-vous de quelques espagnols de Paris mais aussi de tous les gens qui s’intéressaient au Flamenco. Il a bénéficié d’une époque extraordinaire, car c’était la période franquiste, et le propriétaire, qui avait un bon ‘nez’, faisait venir les artistes d’Espagne. En les payant relativement mal, ces artistes étaient payés plus chers qu’en Espagne. Il possédait des chambres dans l’immeuble où il les logeait. Il y avait un restaurant au premier étage, un bar au rez-de-chaussée. Nous allions surtout au bar, écouter les artistes, et nous avons assisté à des soirées extraordinaires.

- Quels sont les artistes que tu as découverts et qui t’ont marqué dans ce tablao ?

- J’ai  vu des artistes importants comme par exemple Manolo Marin qui depuis a ouvert une école à Séville. Parmi les guitaristes, il y avait Miguel Valencia qui s’est produit aussi dans les tablaos de Madrid. Concernant les chanteurs, j’ai été impressionné par Canalejas de Jerez

 

 

 

 

    - Qu’est ce qui t’a le plus attiré au début dans le Flamenco: le chant, la guitare ou la danse ?

- Comme tout bon français, j'ai d'abord été séduit par la danse. La guitare passait aussi assez bien car c’est un instrument à tonalité occidentale. Le plus déroutant était le chant. J’avais une éducation musicale plutôt classique et je m’intéressais au jazz. Les voix rocailleuses, cassées, du chant Flamenco, cela me déroutait. Il me semblait qu’ils chantaient faux. J’ai vite compris que c’était juste une impression, car il y a des modulations en Flamenco qui sont dans des tons intermédiaires qui ne sont pas faux. J’ai pris mes habitudes au Catalan et, petit à petit, je me suis familiarisé avec le chant. Le chant est ce qui, par la suite, m’a le plus bouleversé, il est la base du flamenco et me touche particulièrement.

- Photographiais -tu  déjà les artistes Flamencos dans la période où tu fréquentais ‘Le Catalan’?

- Au début j'étais observateur. J'ai sympathisé avec ces gens. Un jour, Manolo Marin ma demandé de lui faire des photos. Nous échangeâmes nos coordonnées. Manolo est venu chez moi, un jour de mai-juin 1967, sans prévenir, dans mon petit studio à Montmartre. Je l'ai fait entrer, danser et fait quelques photos. J'ai photographié aussi la danseuse du Catalan, qui se nommait Nieves la Pimienta. J'ai trouvé cela intéressant. Puis, je suis parti en Espagne, pendant mes vacances et, lors de ces séjours, j'ai réalisé davantage de photos de Flamenco. Avec un ami, nous avons fait la Feria de Pampelune, nous avons séjourné à Madrid, Tolède, Séville, Jerez, Malaga, Grenade, Barcelone. Partout où il y avait des évènements flamencos ou tauromachiques, nous y allions. J'ai commencé à faire pas mal de photos à ce moment là.

- Tu réalises exclusivement des photos en noir et blanc... Pourquoi as-tu fais ce choix?

- Je travaillais à 95% en couleur dans mon métier de photographe. Pour le Flamenco, au début, j'ai essayé de faire de la couleur et j'ai trouvé que cela faisait trop photo touristique. J'ai fait le choix du noir et blanc car il a une force expressive plus importante que la couleur. Peut-être est-ce le fait que la couleur donne un aspect plus naturel, plus près du réel, et quelquefois anodin. Le noir et blanc transpose l'image, cela lui donne un impact. Il y a aussi, dans le noir et blanc, un côté tragique qui me semble correspondre d'avantage au flamenco que la couleur, et le côté contrasté, entre le noir et le blanc, correspond mieux à ses différents aspects.

- Est-ce pour cette raison que tu as sous-titré ton premier ouvrage de photographies « FLAMENCOS » 'La rage ou la grâce'?

- Oui, c'est aussi pour cette raison que le titre de mon deuxième ouvrage est « LA RAGE ET LA GRACE ». La rage, la grâce, ont deux connotations: la rage évoque évidemment l'aspect rageur, mais aussi ce côté désespéré : la rage de vivre. Dans la grâce il y a à la fois le côté gracieux, mais aussi l'état de grâce que l'on peut assimiler au duende.

- Pour toi, qu'est ce que le Flamenco?

- Le Flamenco est l'expression d’une façon d'être. C'est une façon de vivre qui n’existe pas dans d’autres arts. Je suis un peu sceptique sur le fait d'apprendre le Flamenco lorsqu’on ne vit pas dans son contexte. On peut apprendre, bien entendu, mais pour ce qui est de se produire, cela me semble difficile quand on ne vit pas dans cette ambiance, et sur une terre flamenca. A ces artistes extérieurs, il leur manque souvent 'l'accent', comme dirait un ami. C'est tout à l'honneur des artistes flamencos qui pratiquent cet art en France par exemple, car cela est beaucoup plus difficile pour eux. En ce qui me concerne, je ne pratique pas le Flamenco, je ne fais que le recevoir, je suis un spectateur.

- As-tu une technique ou une méthode spécifique pour photographier les artistes Flamencos?

- En fait, j'utilise les moyens photographiques les plus simples. J'essaye d'éviter les cadrages hyper savants, la granulation intense, les filtres, toute la cuisine photographique qui entrerait en conflit avec l'expression intense du Flamenco et n’apporterait rien. J'essaye d'obtenir l'image la plus franche possible, avec le moins d'effets possible, et surtout je ne me fais pas remarquer par l'artiste. Je les observe d'abord, je me laisse pénétrer par la spécificité de chacun, j’essaye de voir ce qu'il donne et à quel moment il est particulièrement expressif. En fait, j’essaye de faire une photo qui lui correspond, qui le représente.

- Que cherches-tu à capter quand tu photographies un artiste?

- J'attends les moments forts, quand l’expression est à son apogée. Mais, il n’y a pas de règles qui, de toute façon, sont faites pour être bousculées... il est parfois nécessaire de faire autrement. C'est le côté extrême chez les flamencos qui m’impressionne.

- Que penses-tu de la manière dont a évolué le Flamenco?

- Le Flamenco était d'abord un cri de protestation. Or, cette chose là se dilue. On le remarque actuellement parce que les artistes qui ont souffert dans le début de leur carrière, il y en a certes encore quelques-uns uns, mais de moins en moins. Ils ont chanté la misère, la précarité, l’asservissement Ces anciens ont fini par réussir et ils ont eu des enfants qui étaient plus à l'aise, qui eux même ont eu des enfants qui vivent dans des milieux plus riches,  car ils sont fils d'artistes connus et sont nés dans le confort, ils sont aussi mieux éduqués. Ils apprennent la musique, ils ont des notions plus savantes. Donc on trouve à la fois une amélioration technique, musicale, expressive plus avancée, des voix mieux placées, mais quelque fois, une émotion en berne. Le cri basique n'est plus ce qu'il était. Il existe encore, bien heureusement, car il y a évidemment la rage de vivre, cela se transmet même lorsqu’on est fils de riche. En fait, il y a une forme d’adaptation continue à l’époque. Néanmoins, Il faut faire attention que la technique n'amène pas tous les flamencos au conservatoire. Est-ce vraiment nécessaire pour eux? Je ne le pense pas. La meilleure transmission est le clan, la famille.

- Le Flamenco exprime parfois aussi des émotions légères, la joie... cet aspect festif du Flamenco a-t-il de l'importance pour toi?

- Oui, il fait partie intégrante du flamenco. J’apprécie surtout les fêtes de familles... ou les soirées d’après spectacles, c'est prenant. J'ai assisté à des fêtes extra-ordinaires, mais je n'ai pas souvent sorti l'appareil, car il y a une forme de respect  nécessaire et, de plus, il ne faut pas casser ces ambiances.

- Tu as réalisé deux ouvrages regroupant de superbes photos. Ton premier ouvrage intitulé ’FLAMENCOS’, comment est-il né?

- Après avoir accumulé beaucoup de photos, je me suis dit qu'il serait bon de partager ces images avec le public. Je voulais aussi que le texte d’introduction apporte quelque chose. Ce texte a été fait par Anne Marie Virelizier, elle l’a écrit en 1990 et il est toujours très actuel.

- Quels sont les ouvrages disponibles à la vente actuellement ?

- « FLAMENCOS » est épuisé. Une partie des photos de ce premier volume est reprise dans le livre de Gabriel Sandoval intitulé 'Flamenco attitudes' et dans lequel j'ai fait la couverture et une quarantaine de photos. Mon deuxième ouvrage « LA RAGE ET LA GRACE », édité par Alternatives, est en vente partout.

- As-tu un regard critique sur ton travail?

- Il y a des images que j'ai vues et revues et il y a des photos que je découvre quelques années plus tard, on change, on évolue. Mais on garde le regret de tout ce que l’on a pas pu, ou su prendre.

- Quels sont les artistes que tu as eu le plus de plaisir à photographier?

- Il y en a beaucoup… Parmi eux, je pourrais citer, au chant, Chano Lobato, à la guitare Paco de Lucía bien sur, et Vicente Amigo que je trouve étonnant, car il joue en concert avec la même perfection que sur ses disques. J’admire beaucoup Mayte Martín, Miguel Poveda, Belén Maya et beaucoup de nouveaux talents, ils sont nombreux.

- As-tu un nouveau projet d'ouvrage?

- Il se trouve qu'à la demande d'amis,  qui sont journalistes, j'ai réalisé des photos lors d’interviews. Peut-être que ces photos intéresseront un éditeur. Autant les Flamencos sont banals lorsqu'on les photographie chez eux, dans la vie, autant lorsque je les photographie  sur scène ou lorsqu'on les interview, les images deviennent intéressantes. Face à une question agaçante ou pertinente, ils ont des réactions magnifiques et très différentes des attitudes qu’ils ont sur scène. Sur scène, les artistes paraissent plus grands, plus âgés, avoir une belle maturité alors que, dans la vie, ils sont très différents. Certains d’entre eux paraissent banals dans cette vie, mais ils deviennent d'une élégance royale sur scène. Les Flamencos, et en particulier les gitans, ont souvent ces deux faces étonnantes.

- Merci René pour ce temps que tu nous a accordé et à très bientôt !

 

 

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